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L’Express

“Il avance partout” : dans la Drôme, les éleveurs dépourvus face à la progression du loup

Selon les chiffres de la préfecture, les attaques de loup ont bien augmenté de 4,6% au niveau national, engendrant une hausse des victimes de 10,6%, principalement dans les territoires où le loup est nouvellement présent




Un collier en métal, forgé à la main, qu’Alain Baudouin présente comme l’une de ses plus précieuses possessions. D’un doigt, il trace les creux et les piques d’un accessoire conçu pour faire mal. “Je le mets autour du cou de mes chiens quand ils protègent le troupeau. Avec ça, les loups qui se risqueraient à les attaquer n’en sortent pas entiers”, explique-t-il. Du haut de son 1,90 mètre, béret rouge et petite chemise contre le froid, le président de l’Association des éleveurs et bergers du Vercors-Drôme-Isère a soudain l’air très fatigué. Un joyeux remue-ménage d’animaux occupe son abri, niché au cœur de la montagne drômoise. Agneaux et moutons côtoient des bergers d’Anatolie – “La meilleure race pour effrayer le loup”, estime l’éleveur. Chez lui, le prédateur est une hantise. Ce loup, il le craint. Vingt ans ont passé depuis les premières attaques qui ont marqué ses bêtes.Autant d’années à se protéger, à former ses pairs, à dénoncer la présence de l’animal. Aujourd’hui, le prédateur ronge sans doute plus ses nerfs que son bétail. “On a l’impression de parler dans le vide, estime-t-il, regard mouillé et voix tremblante. Les éleveurs ne savent plus quoi faire.” Le 24 octobre 2024, le tribunal correctionnel de Valence a condamné l’un d’eux à un an de prison avec sursis pour l’empoisonnement d’un loup il y a deux ans à Crupies, au sud du département. Une affaire montagnarde. Mais dorénavant, il fait aussi sentir sa présence dans la plaine. L’année dernière, une attaque de loup sur du bétail a été recensée en périphérie du Montélimar, en pleine zone périurbaine. “Il avance partout”, assure Alain Baudouin. Au niveau national, ces attaques ont progressé de 4,6 %.”Il y en a beaucoup”Pour répondre à la détresse des éleveurs, les conseils départementaux alpins – dont fait partie la Drôme – alertent régulièrement l’exécutif. L’abaissement annoncé du statut de protection de loup “d’espèce strictement protégée” à “espèce protégée” par le Conseil de l’Europe n’a pas apaisé les élus. S’inquiétant d’un “pastoralisme en danger”, les départements entendent imposer un nouveau décompte de l’animal sur leur territoire. Dans la Drôme, le canidé est devenu le dernier symptôme d’une défiance envers l’Etat.Le sujet est tellement inflammable que les parties prenantes peinent à s’entendre sur le plus petit dénominateur commun : combien de loups circulent exactement sur le territoire. Une méthode scientifiquement prouvée, reposant sur des prélèvements ADN, est utilisée pour les dénombrer. Mais le millier d’individus calculé par l’Etat ne pèse pas lourd de l’avis des éleveurs qui, pour certains, sont convaincus que “2 500 loups” évoluent en France. Idem pour les chasseurs, qui les comptent aussi dans la fourchette haute. “Afin d’y remédier, certains ont voulu tenter les hurlements provoqués : on se place à des endroits précis du département, on crie, et on attend que les loups répondent”, explique Michel Metton. Au volant de son pick-up, l’homme parcourt le plateau drômois. Chez lui aussi, le loup est une obsession : louvetier, il fait partie de la brigade bénévole que l’on appelle en cas d’intervention nécessaire contre l’animal. Partout dans la campagne, il a dissimulé des appareils photos détecteurs de mouvements. Son smartphone regorge de clichés de prédateurs – sans qu’il puisse déterminer si son système ne cesse d’immortaliser les mêmes loups. “Mais il y en a beaucoup”, assure-t-il.Avoir le temps et la patienceLa question du nombre est capitale, car elle permet à l’Etat de calculer le plafond de canidés pouvant être abattus. “A l’inverse d’espèces sauvages comme le sanglier ou le renard dont la gestion répond à des logiques cynégétiques, le loup est une espèce protégée. Son prélèvement est une dérogation, pas la règle”, explique Antoine Doré, sociologue à l’Inrae, auteur de l’enquête “Face aux loups” sur les conséquences de la présence de l’animal sur le travail et la santé des éleveurs et bergers. “Son prélèvement est limité par un seuil de 19 % de la population estimée, ce qui explique la guerre des chiffres à laquelle on assiste autour de cette espèce”, poursuit Antoine Doré. “L’un des plus hauts plafonds d’Europe”, signale Denis Doublet, vice-président et coordinateur loup pour l’association environnementaliste Ferus. En 2024, jusqu’à 209 loups pouvaient être abattus au niveau national, un seuil à répartir entre les départements.Selon le comptage de décembre, 202 ont été tués, un taux qui sera légèrement revu à la baisse l’année prochaine. D’après une nouvelle estimation par l’Office français de la biodiversité, publiée ce 12 décembre, 1 013 individus circuleraient sur le territoire – jusqu’à 192 loups pourraient donc être abattus en 2025. Cette estimation devrait être annoncée officiellement lundi 16 janvier à l’occasion d’une réunion du Groupe national loup, dont seront absentes les associations environnementales. Elles s’opposent au nouveau “Plan loup”, qu’elles estiment dommageables à la conservation de l’espèce. “En France, tout est axé sur le tir dérogatoire pour pouvoir tuer des loups”, estime Denis Doublet. Une vision dont l’Etat se défend, tiraillé entre préservation de l’espèce et écoute du monde paysan. “Nous cherchons à maintenir l’équilibre fragile des territoires”, relève Véronique Simonin, sous-préfète de Die, chargée du sujet dans le département. Signe de la pression locale, la préfecture a “engagé un profond travail de réorganisation des louvetiers pour intervenir dans les quarante-huit heures maximum auprès des éleveurs”, met en avant Véronique Simonin. Amenés à intervenir quand le loup sort, ils sont souvent appelés pour une tâche longue et ingrate. “Attendre, dans la nuit, dans le froid : il faut avoir le temps et la patience”, décrit Michel Metton.Casse-têteCes dernières années, la région Auvergne-Rhône-Alpes a accordé des subventions aux louvetiers pour qu’ils puissent se doter d’une arme avec silencieux, de “lunettes à imagerie thermique”, ainsi que de jumelles “dernière génération”. Dans sa maison au milieu des champs, à Montmeyran, près de Combovin, Michel Metton couve du regard son matériel flambant neuf. La pièce regorge d’animaux empaillés : divers oiseaux, un cerf et même, dans un coin, un loup. “Malgré la présence de brigades, les attaques se produisent toujours”, regrette-t-il.Le 26 novembre, des chasseurs ont trouvé le cadavre d’un veau d’un élevage voisin de Combovin. “Mes vaches mettront bas à l’intérieur de l’étable. Je ne prends plus le risque”, s’agace Adrien Vigne, à la tête d’une exploitation de 500 ovins et 200 bovins. Dans un mois, il sera indemnisé pour la perte de son animal – entre 500 et 1 000 euros pour un veau, selon son poids. Mais dans un département réputé pour son pastoralisme, la situation agace. D’autant que l’éleveur pensait s’être prémuni contre les attaques, en remplissant les conditions nécessaires aux interventions de la préfecture. En sept ans, Adrien Vigne a acquis 21 chiens de protection. Une barrière “efficace pour protéger les ovins”, mais qui peine à défendre les vaches. Une protection également source de coûts, et d’inquiétude. “Les chiens de protection ne font pas bon ménage avec la chasse. Il y a toujours un risque avec les promeneurs”, liste-t-il.Face à ce casse-tête, la profession agricole pointe sa solitude, malgré le soutien affiché de l’Etat. Des associations de conservation animale, comme Ferus avec son programme Pastoraloup, tentent de proposer aux éleveurs la présence de bénévoles pour “participer à la surveillance” des troupeaux. Mais pour nombre d’éleveurs, cette “cohabitation” est inimaginable. “On ne veut pas l’extinction du loup, assure Alain Baudouin. Juste pouvoir se défendre.” Un brouillard de conte de fées entoure sa ferme. Ses animaux sont à l’abri. Le loup ne viendra pas ce soir.



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Author : Alexandra Saviana

Publish date : 2024-12-22 07:15:00

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