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L’Express

“Il est parti sans prévenir” : les coulisses du départ précipité de Bachar el-Assad vers Moscou

Un poster du président syrien déchu Bachar al-Assad criblé de balles, le 12 dcéembre 2024 à Alep, dans le nord de la Syrie




Des statues de Bachar el-Assad et de son père Hafez détruites dans plusieurs villes, le palais et la résidence de l’ancien président syrien à Damas saccagés… La chute du régime syrien a été marquée par des destructions de symboles pendant plusieurs jours. Une semaine après la prise de pouvoir des rebelles, le déroulé des faits se précise peu à peu. Quelques heures avant la chute de Damas, le dimanche 8 décembre, le président syrien a pris la fuite sans prévenir des membres de sa famille ou ses plus proches collaborateurs, révèlent ainsi à l’AFP plusieurs hauts responsables syriens, ainsi qu’à Reuters quatorze personnes au courant des événements. Ces sources dressent le portrait d’un dirigeant cherchant de l’aide extérieure pour prolonger ses 24 ans de règne avant de recourir à la tromperie et à la discrétion pour préparer son départ de Syrie aux premières heures du jour fatidique.Le président déchu n’a confié à presque personne son projet de quitter le pays après l’effondrement de son régime. Bachar el-Assad a quitté Damas le 8 décembre en avion, en passant inaperçu et sans transpondeur, ont indiqué à Reuters deux diplomates régionaux, le dictateur échappant ainsi aux griffes des rebelles qui attaquaient la capitale. Cette fuite spectaculaire a mis fin à 24 ans de règne, à un demi-siècle de pouvoir ininterrompu de sa famille et a mis un terme brutal à 13 ans de guerre civile. Bachar el-Assad s’est envolé pour la base aérienne russe de Hmeimim, dans la ville côtière syrienne de Lattaquié, puis pour Moscou. Son épouse et leurs trois enfants l’attendaient déjà dans la capitale russe, selon trois anciens proches collaborateurs et un haut responsable régional sollicités par l’agence de presse anglophone.Son frère pas au courant”Il est parti sans prévenir […] ses proches collaborateurs. De la base russe, un avion l’a conduit à Moscou”, raconte aussi auprès de l’AFP un conseiller qui a requis l’anonymat pour des raisons de sécurité. Selon trois de ses collaborateurs interrogés par Reuters, Bachar el-Assad n’a même pas informé son jeune frère, Maher, commandant de la redoutée 4e division blindée d’élite de l’armée, de son projet de départ. Maher el-Assad, une fois mis au courant par hasard alors qu’il était avec ses soldats pour défendre Damas, a pris un hélicoptère pour se rendre en Irak, puis en Russie, a précisé l’une des sources.Les cousins maternels de Bachar el-Assad, Ehab et Eyad Makhlouf, ont également été abandonnés lorsque Damas est tombée aux mains des rebelles, selon un conseiller syrien et un responsable de la sécurité libanaise contactés par Reuters. Les deux hommes ont tenté de fuir en voiture vers le Liban mais ont été pris en embuscade par les rebelles qui auraient abattu Ehab Makhlouf et blessé Eyad Makhlouf. Aucune confirmation officielle n’a cependant été donnée sur ce décès.Quelques heures avant son départ pour Moscou, Bachar el-Assad a assuré le samedi 7 décembre, lors d’une réunion d’une trentaine de chefs de l’armée et de la sécurité au ministère de la Défense, que le soutien militaire russe était en route et a exhorté les forces terrestres à tenir bon, selon un commandant interrogé par Reuters qui était présent et a requis l’anonymat pour parler du briefing.”Nous n’aurions jamais imaginé un tel scénario”L’AFP donne également des détails sur les heures qui précèdent le départ de Bachar el-Assad. “Ce samedi (7 décembre), il ne nous a pas rencontrés. Nous savions qu’il était là, mais nous n’avons pas eu de réunion avec lui”, affirme un haut fonctionnaire du palais présidentiel qui a également requis l’anonymat. “Nous étions au palais, nous n’avions aucune explication et cela a causé beaucoup de confusion au niveau de la direction et même sur le terrain”, explique-t-il.Le samedi 7 décembre, à 21h00, heure locale, “le président appelle sa conseillère politique Bouthaina Chaabane pour lui demander de lui préparer un discours et de le présenter au comité politique qui doit se réunir dimanche matin”, raconte à l’AFP un autre haut responsable. “A 22h00, elle le rappelle, mais il ne répond plus au téléphone”, ajoute ce proche collaborateur de Bachar el-Assad. Dans la soirée, le directeur de médias de la présidence Kamel Sakr indique à des journalistes que “le président va faire une déclaration très bientôt”, puis il ne répond plus au téléphone, tout comme le ministre de l’Intérieur Mohammed al-Rahmoun.Le haut fonctionnaire affirme être resté au bureau jusqu’à 02h30. “Nous étions prêts à recevoir à tout moment une déclaration ou un message de Bachar el-Assad. Nous n’aurions jamais imaginé un tel scénario. Nous ne savions même pas si le président était encore au palais”, raconte-t-il. Aux environs de minuit, il est informé que le président aura besoin d’un cameraman pour un événement prévu le matin. “Cela nous a rassurés sur le fait qu’il était encore là […]”, témoigne-t-il. Mais vers 02h00, un officier des services de renseignement l’appelle pour lui dire que tout le monde avait quitté les lieux. “J’ai été choqué. Nous n’étions plus que deux dans le bureau. Le palais était quasiment vide, et nous étions dans une grande confusion”, dit-il.À 02h30, il quitte le palais présidentiel. “En arrivant sur la place des Omeyyades (NDLR : une grande et importante place de Damas), il y avait plein de soldats en fuite, cherchant un moyen de transport”. “Ils étaient des milliers, venant du complexe sécuritaire, du ministère de la Défense et des autres branches de sécurité. Nous avons appris que leurs supérieurs leur avaient ordonné de fuir”, relate-t-il. “La scène était effrayante : des dizaines de milliers de voitures quittaient Damas, tandis qu’encore plus de gens marchaient sur la route. À ce moment-là, j’ai compris que tout était perdu et que Damas était tombée.””Demain, on verra”L’ancien Premier ministre de Bachar el-Assad, Mohammed Jalali, a de son côté déclaré avoir parlé au téléphone avec son président de l’époque le samedi 7 décembre à 22h30. “Lors de notre dernier appel, je lui ai dit combien la situation était difficile et qu’il y avait un déplacement massif (de personnes) de Homs vers Lattaquié… qu’il y avait de la panique et de l’horreur dans les rues”, a-t-il déclaré cette semaine à la chaîne de télévision saoudienne Al Arabiya. ” Il m’a répondu : ‘Demain, on verra'”, a ajouté Jalali. “‘Demain, demain’, c’est la dernière chose qu’il m’a dite.” Mohammed Jalali a déclaré qu’il avait essayé d’appeler à nouveau Bachar el-Assad à l’aube dimanche, mais qu’il n’avait reçu aucune réponse.Comme le relate Reuters, des vidéos de la maison du président renversé, prises par des rebelles et des citoyens qui ont envahi le complexe présidentiel après sa fuite et publiées sur les réseaux sociaux, suggèrent qu’il a fait une sortie précipitée, montrant de la nourriture cuite laissée sur la cuisinière et plusieurs effets personnels laissés sur place, tels que des albums de photos de famille.Une volonté de trouver refuge aux Émirats arabes unisOn connaît également des détails sur les jours précédant la chute du dictateur syrien. Lorsque les rebelles dominés par des islamistes lancent leur offensive dans le nord de la Syrie, le mercredi 27 novembre, Bachar el-Assad se trouve à Moscou où son épouse Asma est soignée d’un cancer. Il n’apparaît pas à la soutenance de la thèse de doctorat de son fils Hafez deux jours plus tard, alors que toute la famille y assiste, selon un fonctionnaire de la présidence interrogé par l’AFP qui a lui aussi requis l’anonymat. Samedi 30 novembre, quand il rentre de Moscou, Alep, la grande ville du nord, est déjà tombée. Quelques jours plus tard, la rébellion s’empare des villes de Hama et Homs dans le centre, avant de prendre en tenaille Damas, une semaine plus tard.Comme le rappelle Reuters, Bachar el-Assad n’a cette fois pas pu compter sur le soutien de la Russie. Depuis Moscou, le président syrien plaidait pour une intervention militaire de la Russie mais ses appels sont tombés dans l’oreille d’un sourd, le Kremlin refusant d’intervenir, ont déclaré trois diplomates régionaux à cette agence de presse. Moscou, bien que peu disposé à intervenir militairement, n’était toutefois pas prêt à abandonner totalement Bachar el-Assad, selon une source diplomatique russe : le ministère des Affaires étrangères russe aurait ainsi tout fait pour garantir qu’Assad puisse quitter le pays en tout sécurité.Trois membres du cercle proche de Bachar el-Assad ont déclaré que celui-ci avait initialement voulu chercher refuge aux Émirats arabes unis, alors que les rebelles s’étaient emparés d’Alep et de Homs et avançaient vers Damas. Mais le dirigeant a été repoussé par les Émiratis. Ceux-ci craignaient en effet une réaction internationale pour avoir hébergé une personnalité soumise à des sanctions américaines et européennes pour avoir prétendument utilisé des armes chimiques dans une répression contre des insurgés, des accusations que Bachar el-Assad a rejetées.C’est donc à Moscou, en Russie, que Bachar el-Assad vit désormais, avec sa femme et leurs trois enfants. Comme le rapporte The Guardian, il est peu probable que l’ancien président mène dans la capitale russe une vie publique et extravagante. Lui et ses proches resteront sans doute sous la surveillance étroite des agents de sécurité russes, cachés dans une propriété isolée, à l’abri des regards. Et le journal britannique de prédire que la Russie, pour sa part, “gardera le silence sur son nouvel invité, évitant de rappeler au monde qu’elle a soutenu puis accueilli un dirigeant qui a réussi à commettre le péché politique ultime : être à la fois brutalement autoritaire et infructueux”.



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Publish date : 2024-12-15 14:03:09

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