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L’Express

La tyrannie de la liberté d’expression selon Donald Trump, par Gérald Bronner

Donald Trump à Washington le 13 novembre 2024




“Tyrannie de la liberté d’expression” : la formule semblera oxymorale. Pourtant, il est difficile d’employer un autre terme en regardant cette vidéo de Donald Trump, datant de 2022, mais repartagée, il y a quelques jours, avec enthousiasme par Elon Musk à ses 204 millions de followers sur X. “Sans liberté d’expression il n’y a pas de pays libre, c’est aussi simple que cela”, affirme Donald Trump. Il accuse les médias, l'”Etat profond”, les tyrans de la Silicon Valley… d’avoir censuré des informations importantes concernant les élections ou la santé publique. Ce cartel doit être démantelé et détruit, poursuit-il.Et pour cela, son plan est très clair : à la minute même où il sera aux commandes, il signera l’ordre de bannir de l’administration tous ceux qui auront collaboré à ce type d’actions et d’assécher tous les financements qui contribuent à labelliser les contenus en les stigmatisant par l’appellation de “fausses informations”. Il menace notamment les universités impliquées dans la recherche sur les infox d’être privées de ressources fédérales, y compris pour les bourses étudiantes.La régulation de la fausse information sur les réseaux sociauxLe terme de “censure” dissimule, dans la bouche du futur président des Etats-Unis, la question de la régulation de la fausse information sur les réseaux sociaux. Lui qui a diffusé à longueur de journée des mensonges, notamment concernant le trucage imaginaire de l’élection de 2020, n’a pas envie que la question de la possibilité de débattre loyalement en démocratie se pose. Pour Donald Trump, il s’agit d’une atteinte à la liberté d’expression, oubliant que l’usage inconditionnel de la liberté conduit à la pire des tyrannies.Ainsi, la possibilité de prendre tout ce qui nous fait envie attente nécessairement à la liberté des autres de bénéficier du droit de propriété ou de disposer de leur corps comme ils l’entendent. Les lois et la régulation des comportements dans un espace social sont, certes, une limitation d’une forme radicale de liberté mais elles garantissent sa possibilité même. Il se trouve que cette évidence s’applique aussi au marché cognitif qui est devenu cacophonique et donne des avantages concurrentiels à la conflictualité ou à la fausse information et à ceux qui, en général, parlent plus et plus fort que les autres, comme – quelle coïncidence – les supporters de Donald Trump. Ce qui est donc en péril, c’est un espace de pensée commun qui est absolument nécessaire à la vie démocratique.Démocratie des crédulesLes menaces de Donald Trump, si elles aboutissent, nous rapprocheront encore un peu plus de La démocratie des crédules dont je décrivais les contours dans un livre paru en 2013. Elles sont à prendre au sérieux car les attaques contre les chercheurs sur la question de la désinformation ont déjà commencé aux Etats-Unis. En effet, le célèbre Observatoire des dérives d’Internet de l’université de Stanford a fermé ses portes sous les coups de boutoir juridiques des républicains. Ceux-ci – qui partagent le plus de fausses informations – n’aiment pas qu’on puisse faire de la recherche sur ces sujets. Ils ont donc fini par étrangler juridiquement les universitaires qui travaillent à protéger la démocratie. Des procès en cours et deux enquêtes du Congrès sur cet Observatoire ont coûté à Stanford des millions de dollars en frais juridiques.L’une des stratégies fut, par exemple, de convoquer des représentants des universités pour les intimider en espérant faire pression sur les donateurs de ces établissements dont on sait combien ils sont essentiels dans l’économie du savoir outre-Atlantique. Et c’est ainsi que la recherche est menacée. Et comment mieux ignorer la fièvre qu’en cassant le thermomètre ?On peut se demander encore si Donald Trump considérera les pays européens comme des tyrannies et comment les traitera-t-il, le cas échéant, attendu qu’ils ont mis en place une régulation très volontariste du marché cognitif : le Digital Services Act. Celui-ci encadre vigoureusement les activités des plateformes depuis le 17 février 2024, mais sera-t-il suffisant ? Nous devons nous attendre désormais à être pris entre le marteau des pays pratiquant la guerre cognitive comme la Russie et leurs idiots utiles – les Etats-Unis – qui érigent en principe moral leur droit de le faire.Gérald Bronner est sociologue et professeur à La Sorbonne Université.



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Author : Gérald Bronner

Publish date : 2024-11-17 07:30:00

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