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L’Express

Réseaux, lobbying… Comment Orbán murmure à l’oreille de Trump

Viktor Orbàn et le Donald Trump à Mar-a-Lago, le 11 juillet dernier, sur une photo publiée par le Premier ministre hongrois sur X.




Ce 13 mai 2019, la fierté se lit sur le visage de Viktor Orbán, reçu chaleureusement à la Maison-Blanche. Dans le Bureau ovale, le président Donald Trump salue le “travail formidable” du Hongrois, “respecté à travers toute l’Europe”. Une consécration pour le dirigeant illibéral, seul leader européen à avoir sabré le champagne après la victoire de Donald Trump en 2016.Huit ans plus tard, Orbán voit le candidat républicain comme “la dernière chance de maintenir la suprématie mondiale américaine” et compte sur cet “homme de paix” pour clore la guerre en Ukraine et au Moyen-Orient. Au fil du temps, les deux hommes n’ont cessé de se rapprocher sur fond d’hostilité aux migrants, d’exaltation des valeurs traditionnelles, de haine envers les progressistes et de lutte anti-“wokisme”.Cette année encore, Trump a reçu deux fois Orbán dans sa résidence de Mar-a-Lago en Floride. Lors de sa seconde visite, le 11 juillet, Orbán lui résumait sa critiquée “mission de paix” à Kiev, Moscou puis Pékin. Durant l’été 2022, Orbán était allé voir Trump dans son golf du New Jersey avant de s’envoler vers Dallas pour le CPAC, la grande réunion politique des républicains américains créée en 1974. Un forum désormais phagocyté par les trumpistes.”Dieu, Patrie, Famille”C’est en 2020, après la défaite du candidat républicain contre Joe Biden, que la formation Fidesz d’Orbán et des think tanks favorables au leader hongrois se rapprochèrent de la galaxie Trump. Objectif : unir les conservateurs du Danube au Potomac. La déclinaison européenne du Conservative Political Action Conference (CPAC), organisée en Hongrie, symbolise cette dynamique. L’événement se tient sous l’égide de l’institut ultraconservateur “Alapjogokért Központ”, créé en 2013 à Budapest. Jordan Bardella participa à l’édition inaugurale. Le millésime 2024 accueillait notamment le populiste hollandais Geert Wilders, l’Espagnol Santiago Abascal et une flopée de républicains pro-Donald Trump.”Dieu, la Patrie et la Famille réunissent les conservateurs américains et hongrois. Nous défendons nos traditions millénaires, l’éthique et le sens commun. Il y a toujours eu plus de convergences que de divergences et nous sommes ravis que cette vérité simple soit acceptée des deux côtés de l’Atlantique”, développe le politologue Miklós Szánthó, directeur d’Alapjogokért et coordinateur de la grand-messe.Le processus marche aussi dans l’autre sens. Oasis des nationaux conservateurs, Budapest attire des personnalités de l’alt-right américaine comme l’écrivain chrétien traditionaliste Rod Dreher et le théoricien politique Gladden Pappin, figure de la droite religieuse. Pappin préside l’Institut hongrois des Affaires internationales, dont les rapports sont consultés par Viktor Orbán et sa garde rapprochée.Installé à Budapest depuis 2022, Rod Dreher parcourt l’Europe pour le compte du Danube Institute. Un lieu de réflexion fondé en 2013, mené par une ancienne plume de Margaret Thatcher (John O’Sullivan) et supervisé par une fondation de l’Etat hongrois (Batthyány Lajos Alapitvány). Son job : monter un réseau d’intellectuels, journalistes et leaders religieux pour fédérer les conservateurs de tous horizons.Tucker Carlson est conquisOriginaire de Louisiane, Rod Dreher découvrit Budapest en 2019 lors d’un forum sur la liberté religieuse. Après l’événement, il rencontra Viktor Orbán et en ressortit enchanté. Aujourd’hui, Dreher a l’habitude de défendre son champion dans l’un des cafés Scruton de la ville, repaires de l’intelligentsia locale de droite nommés en hommage au philosophe britannique Roger Scruton. Selon lui, Orbán incarne un “bulldozer” combattant le “wokisme” et “Bruxelles”. Il “n’est pas le chien de Poutine” et les Etats-Unis “jettent la Hongrie dans les bras de Pékin”, plaide Dreher.Auteur de plusieurs best-sellers dont Le Pari bénédictin (2017), cet avocat du rapprochement Trump-Orbán revendique avoir recommandé la Hongrie à son “ami” Tucker Carlson, l’ex-animateur vedette de la chaîne conservatrice Fox News. En 2021, Carlson présenta une semaine spéciale de son émission Tucker Carlson Tonight depuis la Hongrie, assortie d’un documentaire élogieux sur la lutte d’Orbán contre le milliardaire George Soros et d’une interview complaisante avec le Trump européen.Dreher, Pappin et Carlson ne sont pas les seuls “amis américains” d’Orbán. Jeremy Carl, commentateur républicain, séjourna au Danube Institute avant Dreher. Début avril 2022, dans la foulée de la réélection éclatante d’Orbán, cet ancien de l’administration Trump listait sur le site d’opinion conservateur American Greatness tout ce que la droite américaine pouvait apprendre du Hongrois.Aujourd’hui, Carl travaille sur l’immigration, le multiculturalisme et le nationalisme pour le Claremont Institute, groupe de réflexion conservateur qui était l’un des premiers défenseurs de Trump. “Orbán n’est ni autoritaire ni fasciste. Il défend l’intérêt national et la protection des frontières comme Trump, valorise les positions pro-familles et comprend la valeur de la realpolitik”, salue Carl depuis le Montana.Pivot du dispositif, le Danube InstituteLe Danube Institute est l’un des piliers de la promotion idéologique d’Orbán outre-Atlantique. Outre Dreher et Carl, l’institut rémunéra l’activiste Christopher Rufo et le journaliste Michael O’Shea, tous deux pro-Trump, afin qu’ils glorifient le pouvoir magyar dans des articles destinés au public américain.Surtout, l’institut collabore étroitement avec la Heritage Foundation, “think tank” à l’origine de la feuille de route trumpienne “Projet 2025”. Orbán affirme avoir inspiré ce programme radical présenté en mai dernier à Budapest par Heritage. Selon l’accord Heritage/Danube, quatre chercheurs Heritage débarquent chaque année à l’institut. L’entente inclut aussi un symposium annuel sur la géopolitique et la sécurité.Fin novembre 2022, le patron de Heritage, Kevin Roberts, échangeait avec Viktor Orbán au monastère des Carmélites de Budapest, QG de l’exécutif magyar. Au terme de la discussion, Roberts se disait “honoré” d’avoir conversé avec le Premier ministre hongrois, saluant son “mouvement qui se bat pour la vérité, la tradition et les familles”. Un message publié sur le réseau X d’Elon Musk, fan de Trump et d’Orbán.C’est aussi avec Kevin Roberts que, le 7 mars dernier à Washington, Orbán brossait le futur des relations magyaro-américaines lors d’une conférence chapeautée par Heritage. Contactée, Heritage n’a pas répondu à nos questions sur ses liens avec Budapest et la connexion Orbán-Trump. Très influent sous les ères Reagan et Trump, le laboratoire réfute officiellement toute collusion avec Orbán.Une école des cadres pro-OrbánA Budapest, l’école des cadres pro-Orbán, Mathias Corvinus Collegium, qui ambitionne de devenir un “hub” de la pensée conservatrice, contribue également à la diffusion d’idées illibérales. Un programme “éducatif” choie les étudiants et universitaires américains. De septembre à juin, ils mènent des recherches, suivent des conférences et ateliers, arpentent la Hongrie, apprennent le magyar et découvrent les bases de la culture hongroise.Le président du conseil d’administration, Balázs Orbán, par ailleurs directeur politique de Viktor Orbán, est un pivot de la connectivité orbáno-trumpienne. Il escorte Orbán aux Etats-Unis, accorda plusieurs interviews à Tucker Carlson et ouvrit, cet automne, le sommet géopolitique Heritage/Danube Institute.Preuve que le trumpisme infuse également en Hongrie, Orbán a adopté le slogan “Make Europe Great Again”, parfaite copie du “Make America Great Again” trumpien ! Décidément, si Donald Trump rejoint la Maison-Blanche, les bouchons de champagne sauteront à Budapest.



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Author : Joël Le Pavous

Publish date : 2024-10-25 09:56:12

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