En ce début de mois de juillet, seuls les Britanniques auraient dû se rendre aux urnes pour renouveler leur Parlement. Mais par un coup du sort politique, les Français, eux aussi, sont appelés à voter dimanche pour le second tour des législatives anticipées, après la dissolution actée par Emmanuel Macron. Deux destins croisés à plus d’un titre. De l’autre côté de la Manche, les travaillistes ont obtenu, jeudi 4 juillet, la majorité absolue. Huit ans après le Brexit, le Royaume-Uni tourne ainsi la page des conservateurs qui restaient sur 14 années au pouvoir.A l’inverse, en France, le Rassemblement national est toujours en course pour décrocher le seuil des 289 députés qui lui permettrait d’appliquer son programme. Pour L’Express, Catherine Mathieu, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et spécialiste du Royaume-Uni, analyse les tenants et les aboutissants de ces deux scrutins au regard de la situation économique de deux pays finalement assez similaires.L’Express : Comment interprétez-vous le vote des Britanniques d’un point de vue économique ?Catherine Mathieu : Il faut surtout l’interpréter comme le souhait de tourner la page de l’époque des conservateurs. Sur le plan des propositions économiques, le programme travailliste s’avère très au centre. Il est fondé sur le sérieux budgétaire. Les travaillistes l’ont martelé tout le temps de leur campagne : en cas de victoire, ils s’attacheraient à baisser la dette publique et à réduire les déficits sans augmenter les impôts.L’objectif était de couper l’herbe sous le pied aux conservateurs qui ne manquaient pas de les attaquer en disant : “Si vous revenez au pouvoir, vous allez augmenter les impôts et faire des dépenses inconsidérées. Cela va être une situation terrible en termes budgétaire”. Le nouveau Premier ministre Keir Starmer a insisté sur une sorte de règle d’or qui consiste à dire que le gouvernement travailliste ne s’endettera que pour investir, tout en baissant la dette publique rapportée au PIB dans un horizon de cinq ans. Si les travaillistes veulent mettre en place les mesures annoncées pour les services publics, qui ont sans doute contribué à leur élection, comme réduire les files d’attente du système de santé, recruter des enseignants, ils auront peu de ressources. Ils comptent aujourd’hui sur un retour de la croissance.Les leçons du Brexit ont-elles été tirées outre-Manche ?Tous les Britanniques ont bien à l’esprit que ce référendum a eu lieu il y a huit ans, au moment où tout le monde était très divisé sur la question. Mais aujourd’hui, plus aucun d’entre eux ne souhaite remettre le sujet sur le tapis. On peut prendre l’exemple des libéraux démocrates qui, en 2019, lors des précédentes élections, avaient inscrit dans leur programme le retour du Royaume-Uni dans l’UE. Résultat, ils s’étaient effondrés. Keir Starmer a pris soin de dire d’ailleurs qu’il n’y aura pas de retour en arrière durant sa vie. Cela vous donne une idée de la situation. Tout le monde souhaite tourner la page.D’un côté le Royaume-Uni semble refermer sa parenthèse populiste, de l’autre la France pourrait ouvrir la sienne…Le Royaume-Uni n’a pas tout fait refermé sa parenthèse populiste. Reform UK, le parti de Nigel Farage, malgré le mode de scrutin britannique, a obtenu quatre sièges. C’est la première fois qu’ils entrent au Parlement. Dans plusieurs circonscriptions, cela s’est joué de peu pour qu’ils gagnent. Il y a toujours une frange de la population du Royaume-Uni qui est très tentée par des approches populistes comme freiner l’immigration, arrêter de lutter contre le changement climatique et renoncer à toutes les mesures de réduction de gaz à effet de serre pour redonner du pouvoir d’achat aux ménages. Mais ils sont moins nombreux qu’en France. Même si on avait le même mode de scrutin, on ne serait pas à 30 %, mais plutôt autour de 16 %. Ce n’est pas négligeable. Si on regarde les deux programmes, on retrouve des éléments similaires. @lexpress Le candidat d’extrême droite Nigel Farage a été élu au Parlement britannique. On vous explique pourquoi c’est historique. UK royaume_uni NigelFarage sinformersurtiktok apprendreavectiktok ♬ original sound – L’Express – L’Express Le thème du pouvoir d’achat, omniprésent dans la campagne électorale française, a-t-il aussi focalisé l’attention outre-Manche ?Pas autant. Nigel Farage a vraiment d’abord insisté sur l’immigration, davantage que sur la question du pouvoir d’achat, même si les Britanniques, comme les Français, ont vu leur pouvoir d’achat dégradé à la suite de la hausse des prix de l’énergie en 2022. Quant aux travaillistes, ils ont vraiment axé leur campagne sur le changement après quatorze années de conservateurs au pouvoir, avec comme discours : “Il faut mettre fin au chaos”. Ils ont mis en avant les différents scandales qui avaient éclaté pendant les périodes de confinement, critiqué l’attitude de Boris Johnson et des équipes gouvernementales ou encore évoqué la crise autour du budget de Liz Truss en 2022, qui a affolé les marchés financiers. Finalement, la réduction des inégalités et l’amélioration du pouvoir d’achat sont passées au second plan, beaucoup plus qu’en France.Dans quelle situation se trouve aujourd’hui le Royaume-Uni par rapport à la France ?L’économie britannique est en convalescence. Au premier trimestre 2024, le PIB a progressé de 0,7 % sur an, après deux trimestres de légère baisse. C’est une petite lueur d’espoir pour un potentiel redémarrage. Si l’on compare à la France, la croissance est à peu près équivalente des deux côtés de la Manche depuis le référendum de 2016. Les travaillistes arrivent également à un moment où l’inflation est en net ralentissement à 2 % sur un an, contre plus de 11 % en 2022. La Banque d’Angleterre, au mois d’août, pourrait ainsi commencer à baisser son taux directeur, ce qui permettrait une reprise des investissements des entreprises et en logement des ménages.La France souhaite également relancer sa croissance. Ces deux pays ont-ils les moyens de le faire ?En termes macroéconomiques, les politiques budgétaire et monétaire sont assez similaires en France et au Royaume-Uni. On a tout de même eu l’amorce d’une baisse des taux d’intérêt côté Banque centrale européenne, ce qu’on n’a pas pour l’instant du côté de la Banque d’Angleterre. La dette publique est d’à peu près 100 % du PIB au Royaume-Uni et 110 % en France. Les déficits publics sont compris entre 5 et 6 % du PIB en France et au Royaume-Uni. Jusqu’à présent, en France et pour le nouveau gouvernement travailliste, il y a l’objectif de réduire la dette et les déficits sans augmenter les impôts, ce qui pose la question de savoir comment financer davantage de dépenses dont on a besoin, notamment dans le secteur de la santé. Cela va être l’une des difficultés principales pour le gouvernement travailliste.
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Author : Thibault Marotte
Publish date : 2024-07-06 07:35:00
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