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Jamais les réseaux sociaux américains n’ont exercé une telle influence sur les affaires de l’Europe. Et jamais ne se sont-ils si peu souciés de lutter contre la désinformation. Donald Trump et Elon Musk ont porté les premiers coups de boutoir à l’idée, pourtant largement partagée, que les fake news et la haine en ligne abîmeraient les démocraties. Mais Mark Zuckerberg leur emboîte le pas avec joie : cela l’exonère de la responsabilité et des coûts associés à la tâche complexe qu’est la modération de ce que les internautes publient.Le patron de Facebook et d’Instagram compte par ailleurs sur Donald Trump pour obtenir des concessions de l’Europe dans l’encadrement des plateformes Web. Ce n’est pourtant “pas le moment de lâcher”, explique Joëlle Toledano, économiste, professeure émérite associée à la chaire gouvernance et régulation de l’université Dauphine-PSL, membre de l’Académie des technologies et auteure de Gafa. Reprenons le pouvoir ! (Odile Jacob, 2020).L’Express : Mark Zuckerberg et Elon Musk modifient en profondeur la manière dont leurs réseaux sociaux fonctionnent et adoptent une approche diamétralement opposée à celle dessinée par la récente régulation européenne du numérique – Digital Services Act (DSA), Digital Markets Act (DMA). Est-ce un signe inquiétant pour l’Union européenne ?Joëlle Toledano : C’est une simple histoire d’argent. C’est une réponse lapidaire qui mériterait de plus longs développements, en particulier sur les risques juridiques encourus, mais aussi sur les intérêts économiques directs. Mais, in fine, c’est une histoire d’argent. Des patrons de réseaux sociaux tels que Mark Zuckerberg s’alignent sur la politique de celui qui a le pouvoir. Ils cherchent à ne pas être mis à l’écart et à tirer profit de la nouvelle configuration politique. Cela se traduit par des changements de fonctionnement aux Etats-Unis mais aussi, espèrent-ils, en Europe puisque les patrons de réseaux sociaux souhaitent que Trump les aide à remettre en question la régulation européenne du numérique. La seule surprise, ici, est la vitesse à laquelle la situation évolue. On ne s’attendait pas à ce que le très néo-trumpien Elon Musk pousse les choses aussi loin.Le DSA et le DMA sont-ils adaptés aux enjeux économiques et informationnels de l’Europe ?Les textes européens ne sont pas aussi parfaits que tout le monde a voulu le faire croire, mais c’est tout à fait normal. Les premières régulations du système postal ou des télécoms avaient, elles aussi, des défauts. Il est normal de rectifier et de faire évoluer les textes au fur et à mesure d’une meilleure compréhension des marchés et des acteurs. Une des limites actuelles du DSA et du DMA est qu’ils ne permettent pas de réagir très vite, d’autant moins que les moyens sont limités. Il faut également simplifier la régulation. Rapprocher le DSA et le DMA qui ont, dans le fond, un objectif commun : réguler l’économie de ces plateformes qui captent par tous les moyens notre attention.Ce problème de simplification va même au-delà de ces deux textes. Prenons l’exemple des dark patterns [NDLR : des interfaces trompeuses telles qu’un site qui place la section pour se désabonner à un endroit difficile à trouver]. Le problème est traité à trois endroits différents dans nos textes. Ce qui suppose l’intervention de trois régulateurs ou juges différents, possiblement situés dans des pays différents, pour un même problème. Demandons-nous également s’il est bon que la régulation du numérique soit dans les mains de la Commission, autrement dit dans celles des politiques européens qui sont en première ligne des négociations avec Donald Trump. Cela crée un mélange des genres problématique. Il faudrait sans doute que ces tâches soient confiées à un régulateur indépendant. Enfin, les textes reposent trop sur la conformité, et pas assez sur le contrôle : ils indiquent aux entreprises ce qu’elles doivent faire et ne pas faire pour être en règle. Mais chacune interprète les textes à sa manière et, bien sûr, à son profit. Il faudrait contrôler cela davantage.Que doit faire l’Europe face aux critiques des Gafam et de Donald Trump ?Il faut qu’elle tienne bon, qu’elle fasse appliquer ses lois au maximum, tout en améliorant les points où elle constate un défaut. Il y a toujours des zones d’ombre, par exemple, le périmètre de ce qu’il est interdit de dire, et les preuves à apporter dans ce domaine. Il faut également que l’Europe se dote de beaucoup plus de moyens pour faire appliquer sa régulation. Les équipes à qui ces sujets ont été confiés sont excellentes mais de taille trop réduite, et certaines compétences techniques manquent.Thierry Breton mettait régulièrement en garde les réseaux sociaux et leurs dirigeants. La nouvelle Commission, elle, n’a guère réagi aux récentes évolutions des réseaux sociaux. Craignez-vous qu’afin d’infléchir la position de Donald Trump – sur les droits de douane, sur le soutien américain à l’Otan et à l’Ukraine – l’Europe se résigne à lâcher du lest sur la régulation du numérique ?J’espère que cela ne sera pas le cas. Ce n’est pas le moment de lâcher, au contraire, mais d’appliquer ces textes avec toute la rigueur possible. Et si la Commission ne s’y emploie pas, il faut que les Etats membres la rappellent à ses devoirs.La régulation n’est pas une fin en soi, rappelez-vous. Quels résultats espérez-vous de la régulation européenne du numérique ?Elle est faite pour générer une concurrence européenne. Hélas, pour l’heure, je n’entends pas parler d’acteurs européens à qui le DMA aurait permis de développer une nouvelle activité. J’espère que de nombreux entrepreneurs de la tech sont en train de le faire, dans leur proverbial garage. Mais on ne les voit pour le moment pas.Pourquoi le DMA n’a-t-il pas produit les mêmes effets que l’ouverture à la concurrence des télécommunications dans les années 1990 en France ?Le problème central de la régulation est l’asymétrie d’information. Vous avez en face de vous des acteurs qui savent beaucoup plus de choses qu’ils ne veulent en dire. La seule manière d’opérer les bons arbitrages est d’entendre une variété de points de vue et, en particulier, ceux de deux catégories d’acteurs : les sociétés en place et les acteurs qui souhaitent les challenger. C’est ce qui a fait que l’ouverture à la concurrence des télécoms a bien fonctionné. L’éclairage de France Télécom était évidemment précieux, mais celui d’un Free ou d’un Neuf Cegetel [ancêtre de SFR] l’a été tout autant.Les entreprises européennes dépendent énormément des Gafam et du moindre changement de leur algorithme. Elles ne savent pas si ces groupes américains sont susceptibles de modifier leur fonctionnement, ni de quelle manière. Dans le doute, elles préfèrent ne pas s’aventurer sur certains terrains qui pourraient être bouleversés par un changement d’algorithme. Encore plus rares sont les Européens qui tentent de concurrencer les Gafam frontalement. Or, ce sont ces challengers qui sont les mieux placés pour voir ce qui manque ou ce qui ne va pas dans la régulation du numérique de l’UE. Il n’y a rien de plus compliqué que de réguler un monopole s’il n’y a pas un début de compétition qui émerge.Elon Musk a significativement relâché la modération de X. Zuckerberg entend faire de même sur Facebook, Instagram. Cela fait craindre que les Européens aient du mal, demain, à empêcher que des contenus haineux et de la désinformation circulent en toute liberté. Cela nous rappelle aussi que l’Europe n’a pas fait émerger de réseau social de l’envergure des plateformes américaines ou chinoises. Pourquoi ?Le fait de ne pas avoir de marché unique a certainement joué. Je me demande toutefois si le fait d’avoir un réseau social européen changerait quelque chose au problème de fond, qui est celui du modèle économique plus que de la nationalité de l’entreprise. Un réseau européen qui se voudrait concurrent des Américains et construit comme ceux des Américains autour de la publicité ciblée, de l’économie de l’attention poserait des problèmes similaires.
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Author : Anne Cagan
Publish date : 2025-01-20 11:00:00
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