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L’Express

François Molins : “La réaction à Charlie Hebdo fut le dernier moment de concorde nationale”

François Molins à Lyon, le 6 avril 2024




Dix ans après les attentats de 2015 qui ont frappé Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, François Molins, procureur de Paris de 2011 à 2018, revient sur ces quelques jours qui ont profondément marqué la France. Au-delà des défis rencontrés et des leçons apprises, il partage aujourd’hui ses réflexions sur l’impact de ces événements dramatiques, non seulement sur la magistrature, mais aussi sur la société française.L’Express : Que vous reste-t-il dix ans après l’attentat contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher ?François Molins : L’attentat, d’abord, ce sont des images qu’on n’oublie pas. Le souvenir est tellement fort que j’ai du mal à croire que c’était il y a dix ans. C’est aussi le souvenir d’une époque qui était vraiment très anxiogène. On avait l’impression d’être enfermés dans une spirale de la terreur qui se traduisait par une répétition régulière des attentats et qui nous renvoyait finalement à une forme d’impuissance, d’incapacité. C’est une période qui a duré trois ans, de 2015 à 2017, très dure à vivre parce que vous vous rendez compte que, quelles que soient l’ampleur et la valeur de votre travail, l’amélioration que vous y apportez ou la qualité de la collaboration avec les services de renseignement, vous n’arrivez pas à endiguer le phénomène terroriste.Que représentent les attentats de 2015 pour la magistrature en particulier ?Charlie Hebdo, c’est la bascule dans l’exportation de ce qu’on pourrait appeler le djihad global en Europe à son plus haut niveau. C’est la première étape des attentats majeurs qui vont secouer toute l’année 2015. Pour nous, magistrats, cette date charnière nous conduira à une autre façon de travailler face à l’augmentation considérable de la menace. Nous revoyons notre réponse judiciaire. Nous prenons l’habitude de fonctionner avec des retours d’expérience pour essayer de corriger ce qui fonctionne mal. Charlie Hebdo, par exemple, nous permet de nous rendre compte que la police judiciaire, à l’inverse du parquet, n’a pas des référents uniquement dédiés aux victimes et que la prise en charge n’est pas optimale. Le soir du 13 novembre révèle aussi des dysfonctionnements dans l’accueil des familles. Nous en tirons des enseignements pour éviter que cela se reproduise lors de l’attaque de Nice. Nous nous rapprochons aussi beaucoup des services de renseignement, nous travaillons beaucoup mieux qu’avant avec eux.Et en matière de politique pénale ?Avec les attentats de 2015, nous prenons conscience d’un phénomène que nous n’avions pas du tout pressenti : l’alliance entre les gens du terrain, qui appartiennent à al-Qaeda et à Daesh. En Syrie, ils se combattent mais chez nous, ils sont sans une entente objective pour se répartir les objectifs et s’entraîner pour préparer les attentats contre des Français, où qu’ils se trouvent. A partir de 2015, nous conduisons une réflexion qui va nous amener à modifier notre politique pénale et à considérer que tous ceux qui partent en Syrie rejoignent une association de malfaiteurs terroristes qui a pour but de commettre des attentats contre les personnes. Du jour au lendemain, toutes ces personnes sont mises en examen sur des bases criminelles et non plus correctionnelles. Elles ne sont plus justiciables du tribunal correctionnel de Paris avec des peines maximales de dix ans de prison, mais de la cour d’assises spéciale où elles encourent des peines de trente ans. Du jour au lendemain, nous avons un peu plus de 80 dossiers dans ce cas.Comment préserve-t-on les principes du droit dans un climat d’angoisse aussi intense que celui de 2015 ?Il est difficile de dire qu’on est complètement insensible à la pression, non pas à la pression populaire, mais à la pression de l’événement. Il y a alors des enjeux majeurs en termes de sécurité. La Syrie n’est pas loin, nous sommes confrontés au défi “d’entraver” l’action de tous ces gens qui ont basculé et sont susceptibles de commettre des attentats. Mais, et c’est en cela qu’on est dans un Etat de droit, c’est à la justice qu’on confie cette tâche à la suite du travail des services de renseignement. Et ce, dès 1986 avec la suppression de la justice d’exception – cour de sûreté de l’Etat et tribunaux militaires – et avec la création d’une équipe de magistrats spécialisés dans le terrorisme agissant dans le respect des grands principes conventionnels de la procédure pénale.Pendant l’année 2015, vous prenez beaucoup la parole. Pourquoi est-ce important ?Les attentats causent beaucoup de peur dans la population. Ils génèrent des situations de chaos. Et dans le chaos, il faut remettre les choses en ordre. Avec les attaques de Mohammed Merah déjà, nous avions pris conscience de la nécessité et de l’utilité de nommer les choses, de prendre la parole et de donner des éléments d’information aux gens. Or, le seul qui peut le faire, c’est le procureur, puisque la loi lui donne le monopole de la communication sur les enquêtes judiciaires.Dans les procès des attentats de masse, il y a beaucoup de victimes et un petit nombre d’accusés. Comment gère-t-on ce déséquilibre numérique ?Le 13 novembre est un très bon exemple montrant que la justice sait s’adapter. Le procès aura toujours pour but premier de statuer sur des accusations portées contre des personnes. Mais effectivement, il y a des centaines de victimes qui ont des droits parce qu’elles sont parties civiles et qui attendent beaucoup du procès. C’est une occasion pour elles de commencer à se reconstruire. Il faut le prendre en compte. La justice s’est adaptée, elle a fait en sorte que les victimes puissent toutes s’exprimer et leur a réservé suffisamment de temps. C’est un exemple qui montre que la justice française fonctionne bien quand on lui en donne les moyens. Et le fait que ce soit une cour d’assises spéciale – et non une justice populaire – n’y change rien. L’essentiel, c’est qu’on applique le droit. On l’a vu récemment avec la leçon donnée sur la définition de l’association de malfaiteurs terroristes dans le dernier arrêt de la cour d’assises à propos de l’affaire de Carcassonne et de Trèbes.La situation actuelle en Syrie réveille-t-elle vos inquiétudes ?Il faut être prudent à l’égard d’Abou Mohammed al-Joulani qui était un djihadiste mais qui semble être devenu très pragmatique. On saura assez vite à quoi s’en tenir en se fondant sur un élément : sa tolérance à l’égard des autres cultes en Syrie, qui sont nombreux – sunnites, chrétiens d’obédiences diverses, alaouites… Ce sera un signal. Mais c’est aussi de l’espoir pour les gros dossiers judiciaires que nous avons avec la Syrie. Quand j’étais en poste à Paris, j’avais ouvert une enquête à partir du fichier César (des dizaines de milliers de photographies documentant la pratique de la torture par le régime syrien d’Assad). A l’époque, il n’y avait aucune coopération internationale. Ce serait bien d’avoir des éléments qui permettent de faire avancer ces dossiers sur des faits qui sont particulièrement graves.Avez-vous le sentiment que les attentats de Charlie ont changé la société française ?Charlie, pour moi, à travers les réactions du pays aux attentats des 7, 8 et 9 janvier, est le dernier moment de concorde nationale, avec la manifestation monstre du dimanche 11 janvier, même s’il y avait des questions et des polémiques. Mais est-ce qu’il y a eu, depuis, une manifestation de concorde comme celle-là dans notre pays ? Clairement, la réponse est non. Je n’ai pas le sentiment que le pays soit plus uni aujourd’hui qu’il ne l’était il y a dix ans.Où serez-vous du 7 au 9 janvier ?Je serai aux cérémonies commémoratives. Sauf rares absences pour raisons professionnelles à l’étranger, j’ai toujours été présent.



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Author : Agnès Laurent

Publish date : 2025-01-04 11:00:00

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