Remaniement ministériel, menace de censure par l’ensemble de l’opposition au Parlement, spectre d’une démission du chef de l’exécutif… Non, nous ne sommes pas en France mais au Canada, où Justin Trudeau a vécu une des semaines les plus tendues depuis sa prise de fonction comme Premier ministre en 2015.S’il était déjà contesté dans son propre parti depuis de longs mois, avec une courbe de popularité en chute libre, les choses se sont accélérées lundi 16 décembre. Le jour choisi par Chrystia Freeland, la numéro 2 du gouvernement canadien, pour annoncer avec fracas sa démission du gouvernement. “Nous nous trouvions en désaccord sur la meilleure voie à suivre pour le Canada”, au moment où le pays est confronté à “un grand défi”, a-t-elle écrit dans une lettre adressée au Premier ministre et diffusée sur X.See my letter to the Prime Minister below // Veuillez trouver ma lettre au Premier ministre ci-dessous pic.twitter.com/NMMMcXUh7A— Chrystia Freeland (@cafreeland) December 16, 2024Ce “grand défi”, dont parle celle qui était également ministre des Finances, se trouve à 900 kilomètres au sud d’Ottawa : à Washington. Il risque d’ébranler à nouveau la région – et le monde. Cette “menace”, donc, c’est celle que représente à ses yeux Donald Trump, qui fera son grand retour à la Maison-Blanche le 20 janvier prochain. Durant toute sa campagne, le futur président américain n’a cessé de marteler sa volonté de rétablir d’importants tarifs douaniers envers tous les partenaires commerciaux des Etats-Unis, et notamment à hauteur de 25 % pour le Canada et le Mexique. Cette mesure aurait une incidence très concrète pour les Canadiens, alors que les trois quarts des exportations du pays sont envoyées vers les Etats-Unis, et près de 2 millions de personnes (sur une population de 41 millions d’habitants) en dépendent directement.Le Canada, possible “51e Etat” des Etats-Unis pour TrumpCes tensions commerciales sont doublées de critiques acerbes de Donald Trump sur la régulation de l’immigration clandestine depuis le Canada vers les Etats-Unis. Mais à ces débats politiques, il faut également ajouter les tensions personnelles entre le président élu et le Premier ministre canadien. Ce dernier, figure du progressisme des années 2010, à la communication très maîtrisée, est à peu près l’antithèse parfaite de ce qu’incarne Donald Trump. Leurs relations, lors du premier mandat du républicain, furent souvent houleuses.Si Justin Trudeau s’est rendu le 29 novembre dernier à Mar-a-Lago, la résidence de Donald Trump, afin de discuter de l’avenir des relations américano-canadiennes, le futur locataire de la Maison-Blanche en a surtout profité pour humilier son homologue. Tout d’abord en ne cessant d’appeler Justin Trudeau le “gouverneur” du Canada, comme un symbole du poids politique qu’il représente à ses yeux. Mais il est également allé jusqu’à déclarer, dans un message publié sur son réseau social Truth Social, que faire du Canada le 51e Etat de son pays serait “une excellente idée”. Une plaisanterie qu’il aurait également faite lors de sa rencontre avec Justin Trudeau, selon la chaîne de télévision Fox News, en disant que si le Canada ne pouvait survivre aux 25 % de droits de douane qu’il souhaitait réintroduire, il pourrait devenir le 51e Etat américain.Une défiance dans son propre campSi le Premier ministre apparaît autant en situation de faiblesse face à Donald Trump, c’est avant tout car il l’est dans son propre pays. En ce sens, la démission de Chrystia Freeland est particulièrement symbolique. Proche parmi les proches de Justin Trudeau depuis son arrivée au pouvoir en 2015, elle avait notamment joué un rôle central dans les renégociations de l’Alena – l’accord de libre-échange entre le Mexique, le Canada et les Etats-Unis – entre 2016 et 2020, faisant déjà face aux volontés protectionnistes de Donald Trump. Ce dernier n’a d’ailleurs pas tardé pour célébrer son départ du gouvernement canadien. “Le grand État du Canada est abasourdi par la démission de la ministre des Finances, ou son renvoi, par le gouverneur Justin Trudeau. Son comportement était totalement toxique, et pas du tout propice à la conclusion d’accords favorables aux citoyens très malheureux du Canada. Elle ne nous manquera pas !”, a-t-il ainsi écrit, encore une fois, sur son réseau social Truth Social.Ce départ témoigne de la vague de mécontentement qui touche le parti de Justin Trudeau. Car une échéance arrive très vite : les élections fédérales, qui doivent se tenir avant le 20 octobre 2025. Dans les sondages, le Parti libéral est jusqu’ici devancé de plus de 20 points par le Parti conservateur, et l’actuel Premier ministre canadien se voit notamment reprocher la forte inflation qui touche le pays, mais aussi la crise du logement et des services publics.De quoi faire craindre au Parti libéral une défaite écrasante si aucune décision forte n’était prise d’ici là. Selon le décompte du journal The Toronto Star, 16 des 153 députés du camp de Justin Trudeau auraient déjà officiellement réclamé son départ, auxquels il faut ajouter tous ceux qui ne masquent plus leur défiance en coulisses. Et ce n’est pas le remaniement ministériel annoncé par le Premier ministre canadien ce vendredi 20 décembre, avec près d’un tiers du gouvernement qui a été remplacé, qui a renversé la défiance à son égard.La démission, une option qui n’est pas écartéeCes élections fédérales pourraient même se tenir plus tôt que prévu. Le Nouveau parti démocratique (NPD), ancien allié de gauche de Justin Trudeau, a ainsi annoncé ce vendredi qu’il déposerait une motion de censure au plus tôt au sein de la Chambre des communes canadiennes. “Le temps de ce gouvernement est écoulé”, a affirmé le leader du NPD, Jagmeet Singh, dans une lettre cinglante. “Les libéraux de Trudeau ont dit beaucoup de bonnes choses. Puis ils ont laissé tomber les gens encore et encore. Justin Trudeau a échoué dans sa tâche la plus importante en tant que Premier ministre : travailler pour le peuple”, a-t-il encore affirmé.Cette déclaration vient bouleverser les équilibres au sein du Parlement canadien. Car les 25 voix du NPD, ajoutées aux 119 du Parti conservateur et aux 33 du Bloc québécois, mettent le Parti libéral en position de minorité au sein de la Chambre des communes. Dans cette situation, le gouvernement de Justin Trudeau ne survivrait plus au vote de confiance au Parlement. Humilié par Donald Trump, tancé dans son parti, au bord de la censure par les oppositions, une dernière solution pourrait alors s’imposer à Justin Trudeau : celle de démissionner et de léguer la responsabilité de mener les prochaines élections fédérales à une autre personnalité de son camp. Selon Radio Canada, cette option ne serait pas écartée par le Premier ministre, qui se laisserait le temps de la période des fêtes de fin d’année pour réfléchir à son avenir. “Je pense qu’il a décidé de partir”, affirme auprès de la radio publique canadienne une source au sein du Parti libéral ayant rencontré Justin Trudeau ces derniers jours. Une affirmation largement nuancée par d’autres proches du Premier ministre, qui affirment que celui-ci “ne veut pas partir sans que le parti ait un plan en place pour sa succession”.Une chose semble en tout cas presque assurée : le 20 octobre 2025 au plus tard, le Canada devrait avoir un nouveau chef de gouvernement. Et il pourrait bien se nommer Pierre Poilievre, le leader des conservateurs.
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Publish date : 2024-12-23 05:30:00
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