La Chine ne compte guère d’alliés dans le futur gouvernement de Donald Trump. Marco Rubio, le prochain Secrétaire d’Etat, est connu pour ses positions critiques contre Pékin. Mike Waltz, choisi pour être conseiller à la Sécurité nationale, a déclaré à plusieurs reprises que les Etats-Unis étaient “en guerre froide avec la Chine”. Le prochain ministre de la Défense, Pete Hegseth, considère que Pékin a pour but de dominer le monde. Quant à Jamieson Greer, qui sera chargé du Commerce extérieur, il a déjà mis en oeuvre la politique de guerre tarifaire de Donald Trump contre la Chine lors du premier mandat de ce dernier.Dans ce groupe, Elon Musk semble bien isolé. L’homme le plus riche du monde, qui s’est décrit comme étant “en quelque sorte pro-Chine” lors d’une interview sur X (ex-Twitter) est l’un des rares proches de Donald Trump à ne pas vouloir s’aliéner l’empire du Milieu. Elon Musk entretient en effet des liens particuliers avec la Chine. Il doit une grande partie de son succès au pays, et notamment à quelques amis proches, qui l’ont aidé à faire de Tesla le géant qu’il est aujourd’hui.Les dessous du succès de Tesla en ChineLe constructeur dépend de sa gigafactory de Shanghai, d’où sort près de la moitié des voitures qu’il produit chaque année. “L’usine est très en avance dans l’utilisation des robots et du digital”, explique Michael Valentin, cofondateur du cabinet de conseil Opeo et spécialiste du marché de la voiture électrique. Près de 300 data engineers y travaillent à l’amélioration des processus de fabrication, un chiffre exceptionnellement élevé. “La gigafactory de Shanghai profite aussi de la porosité avec les grands noms de la tech chinoise, installés à côté”, précise l’expert.Elle jouit surtout d’avantages inédits en Chine. En 2018, lorsque Tesla a cherché à s’implanter dans le pays, l’entreprise a bénéficié de deux soutiens importants : Robin Ren, l’un des meilleurs amis d’Elon Musk, qu’il a rencontré lors de ses études à l’université de Pennsylvanie, et Li Qiang, l’actuel Premier ministre chinois, à l’époque secrétaire général du Parti communiste à Shanghai. Robin Ren a eu pour mission de convaincre le gouvernement d’assouplir ses règles. Jusque-là, tous les constructeurs automobiles qui se sont implantés en Chine ont dû créer une joint-venture avec des partenaires locaux. Un cauchemar pour Elon Musk qui adore être le seul maître à bord. Les efforts de Robin Ren payent. Après des mois de patient lobbying, Tesla obtient gain de cause et le feu vert pour s’implanter sans joint-venture.Elon Musk et la ChineAvec le soutien du gouvernement local, Elon Musk décroche également “les droits d’utilisation du terrain ainsi que des prêts à faible taux d’intérêt auprès de banques chinoises”, précise Chunyan Li, fondatrice de Feida Consulting et spécialiste du développement commercial en Chine. En accomplissant ce qui était jugé impossible, Robin Ren pose les bases du succès du constructeur automobile, aidé de Li Qiang, également très impliqué dans le projet.Tesla est venu toquer à la porte du gouvernement chinois au bon moment. “En 2009, la Chine fixe pour la première fois un objectif de réduction des émissions carbone et de développement du secteur des véhicules électriques”, rappelle Chunyan Li. Le gouvernement a vu, dans Tesla, l’opportunité de se montrer ouvert aux investisseurs étrangers et de doper sa propre industrie automobile, ainsi que celle des batteries, indispensables aux voitures électriques.Mais Elon Musk sait qu’il doit montrer patte blanche s’il veut continuer de faire affaire là-bas. D’où cette volonté naturelle “d’apaiser la relation avec la Chine”, indique Mathieu Duchâtel, directeur des études internationales et du programme Asie de l’Institut Montaigne. L’intérêt d’Elon Musk pour la Chine va même plus loin. “Que ce soit dans l’espace ou les voitures, seule la Chine est à l’échelle du développement qu’il ambitionne. On peut tout à fait concevoir qu’il ait une attraction très forte pour le modèle chinois”, analyse l’expert.Elon Musk a ainsi multiplié les attentions à l’égard de la Chine. En 2022, au grand dam de Taïwan, il a déclaré qu’à ses yeux, cette île faisait partie intégrante du pays. L’année suivante, il a fait l’éloge du programme spatial chinois sur X. Pour montrer son attachement à la Chine, il s’est même créé un compte sur Weibo, où il est suivi par plus de 2,7 millions de personnes, et sur lequel il publie régulièrement des vidéos ou des photos à propos de Tesla, en anglais et en chinois.La famille Musk adulée en ChineSa stratégie fonctionne. “Il y a un lien très fort entre Elon Musk et les internautes du pays, indique Sonia Szczerbinski, fondatrice de The V Factory, cabinet de conseil en marketing spécialiste des réseaux sociaux chinois. Les gens pensent que, parce qu’il est américain, Elon Musk va être détesté là-bas, mais c’est faux. Ils sont très admiratifs de son succès, il est considéré comme une idole”. Les discussions sur Elon Musk déclenchent dans l’ensemble des commentaires très positifs sur toutes les plateformes chinoises, Douyin – la maison mère chinoise de TikTok -, XiaoHongShu ou encore Weibo.Pour Gilles Giheux, professeur de sociologie de la Chine à l’Université Paris Cité, cet engouement n’est pas surprenant. “Les hommes d’affaires y sont célébrés comme des héros, parce qu’ils contribuent au développement du pays. Elon Musk rentre parfaitement dans la case du génie couronné de succès.” Il incarne aussi les fantasmes technologiques les plus fous, avec la voiture sans chauffeur et la colonisation de l’espace. “Son discours colle parfaitement aux politiques publiques chinoises, qui placent l’innovation comme vecteur de croissance pour la Chine”, poursuit Gilles Giheux.Musk n’est pas le seul à emballer la Chine. Sa mère, Maye, est également une star des réseaux sociaux locaux. Suivie par plus de 570 000 personnes sur XiaoHongShu, l’équivalent d’Instagram, cette ancienne mannequin est une véritable influenceuse. “Elle est très populaire, parce qu’elle incarne la femme d’affaires libérée, moderne, qui a élevé ses enfants seule”, explique Sonia Szczerbinski. Un idéal qui séduit le public féminin, dans un pays où la trajectoire professionnelle et l’éducation des enfants sont des marques de réussite importantes. “Les internautes lui demandent souvent comment elle a fait pour élever un tel génie, observe l’experte. Et comment elle fait pour vieillir avec autant de grâce.”SpaceX, Neuralink, X : les sujets qui fâchentPour l’heure, la bonne image de la famille Musk suffit à faire oublier l’association d’Elon avec Donald Trump, et ses penchants libertariens, à l’opposé des idéaux du Parti. Mais tout n’est pas rose. Son entreprise d’implants neuronaux Neuralink et son réseau social X sont vus comme des menaces et ne sont pas bienvenus dans le pays.Quant à SpaceX, son hégémonie inquiète de plus en plus le gouvernement chinois. En 2023, les dirigeants de l’agence spatiale nationale l’ont qualifié de “défi sans précédent”, et ont appelé tous les acteurs de l’industrie à redoubler d’efforts afin de combler le retard accumulé. Plus récemment, ce sont les constellations de satellite Starlink, capables d’apporter une connexion Internet dans les endroits les plus reculés, qui ont inquiété le gouvernement chinois. Leur poids dans la guerre en Ukraine a ouvert les yeux de Pékin qui a exhorté l’industrie locale à créer un système concurrent. D’où le lancement, en août, des premiers satellites basse orbite Qianfan.Ce qui menace le plus l’histoire d’amour d’Elon Musk avec la Chine reste, bien sûr, Donald Trump. Si Washington met ses menaces de hausses de droits de douane à exécution, elle pourrait tourner au vinaigre. “Elon Musk va essayer de modérer le président américain”, pronostique Michael Valentin. Car l’entrepreneur a encore de grands projets en Chine. Il souhaite implanter une deuxième usine Tesla à Shanghai. Et sait que sa construction ne démarrera qu’avec l’aval du gouvernement.
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Author : Aurore Gayte
Publish date : 2024-12-21 06:45:00
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