Il existe, aujourd’hui, une nouvelle Rome. Elle se trouve de l’autre côté de l’Atlantique. Les Etats-Unis n’ont pas seulement trois siècles d’histoire, mais 3 000 ans, car ils sont les héritiers directs de l’Empire romain. La continuité est évidente. Commençons par les symboles. Quel est l’emblème des Etats-Unis ? L’aigle, comme Rome. La devise américaine ? Elle vient du latin, E pluribus unum (Un, à partir de plusieurs). Comme le Capitole romain, le Sénat américain est bâti sur une colline – Capitol Hill. Et que voit-on sur la statue d’Abraham Lincoln, à Washington, dans le bureau Ovale et sur les pièces de dix cents ? Des faisceaux, symbole de l’autorité de la République dans la Rome antique.Comme les Romains, les Américains ont construit un empire. Ils ont unifié les colonies anglaises en les libérant de la tutelle de Londres, ont pris des territoires aux Mexicains et en ont racheté d’autres aux Français. Mais pour les Américains, l’influence – militaire, politique, culturelle, économique – a toujours été plus importante que l’occupation de territoires, tout comme Rome, en son temps, cherchait à conclure des alliances avec les rois étrangers sans occuper leurs terres. Les légions romaines ne surveillaient pas les frontières. Elles s’appuyaient sur des royaumes satellites (Mauritanie, Thrace, Cappadoce, Judée), qui fournissaient des soldats en échange de subsides. Ce potentiel militaire constituait une redoutable arme diplomatique.C’est en suivant cette stratégie que l’empire américain s’est étendu au cours du XXe siècle, en signant des protectorats avec des Etats (Porto Rico), en en convainquant d’autres d’accueillir des bases (Philippines, Cuba) ou en transformant d’anciens ennemis en alliés (Allemagne, Italie, Japon). Les Romains n’obligeaient pas les peuples qu’ils avaient vaincus à renoncer à leurs dieux, à leur monnaie, à leurs lois. On pouvait devenir romain quels que soient sa couleur de peau et son pays d’origine. Comme leurs lointains ancêtres, les Américains accordent peu d’importance aux origines ethniques. Seuls comptent la valeur, les connaissances et ce que l’on apporte à la communauté.Zuckerberg ou Musk, les nouveaux Auguste ?Comme Rome, les Etats-Unis cultivent le pouvoir sur les esprits grâce aux sciences, aux arts (cinéma, musique) et à la technologie. D’ailleurs, il y a de vraies analogies entre Rome et la révolution numérique. Ce n’est pas un hasard si les fondateurs des Gafa sont fascinés par la Rome antique. La perspective de réunir et de gouverner une communauté de la taille de la planète a donné à Mark Zuckerberg, créateur de Facebook, la sensation d’être le nouvel Auguste. Anecdote amusante : Priscilla, sa femme, raconte que durant leur lune de miel – à Rome, bien sûr -, Mark se faisait photographier devant chaque statue d’Auguste qu’il voyait ! Et il a non seulement adopté la même coupe de cheveux que son lointain modèle, mais a aussi donné à ses filles des prénoms évoquant la vie du fondateur de l’Empire : Aurelia, Maxima et… August, bien sûr. Pour Zuckerberg, Facebook est une réplique de l’Empire romain. Et lui se voit comme le chef d’une communauté grande comme ce que l’on appelait durant l’Antiquité le “monde connu”.Et il n’est pas le seul à être inspiré par Auguste et ses successeurs ! En 2021, Elon Musk s’est déclaré “imperator de Mars”. A noter – joli symbole – qu’à l’été 2023, Musk a défié Zuckerberg en duel… au Colisée, à Rome.Bill Gates n’est pas en reste. Le fondateur de Microsoft, qui recommande sur son blog de visionner la série culte de la BBC sur l’empereur Claudius, avait suggéré après la pandémie de Covid de créer une “task force mondiale” sur le modèle du corps des pompiers créé par Auguste après l’incendie qui dévasta Rome.Mais de même que Rome dut sa chute aux invasions barbares – et aussi à ses fragilités internes –, les Etats-Unis affrontent aujourd’hui des dissensions qui les empêchent de jouer leur rôle de “phare du monde” et de modèle à suivre pour les idéaux de démocratie et de liberté. Ainsi, la victoire de Donald Trump en 2016, et son slogan “America First”, peut-elle se lire comme une décision de négliger le reste du monde, du Moyen-Orient à l’Afrique, alors que la Chine – qui, mieux que quiconque, connaît le sens du mot empire – pose à l’inverse les bases d’une hégémonie future.(1) “Rome, l’empire infini”, d’Aldo Cazzullo (éd. Harper Collins)* Aldo Cazzullo, directeur adjoint du quotidien milanais Corriere della Sera, a publié une trentaine d’ouvrages sur l’histoire et l’identité italienne, dont plusieurs best-sellers. Rome : L’Empire infini est son premier livre publié en France.
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Author : Charles Haquet
Publish date : 2024-10-26 05:30:00
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