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L’Express

Israël : après un an de guerre, l’économie encaisse le choc… pour le moment

Des passagers devant un tableau d'affichage de l'aéroport Ben Gourion de Tel-Aviv, le 6 août 2024




Le lendemain du 7 octobre 2023, les employés du port d’Ashdod sont retournés à leur poste, comme chaque matin. Situé au sud d’Israël et à quelques dizaines de kilomètres de la bande de Gaza, Ashdod accueillait 40 % du commerce maritime du pays. Alors que plusieurs compagnies de fret maritime ont déclaré des cas de “force majeure”, limitant leurs dessertes, le port a vu ses volumes s’effondrer de près de la moitié sur le dernier trimestre 2023. Un an plus tard, “l’activité est presque revenue à la normale”, observe Shaul Schneider, président exécutif d’Ashdod Port Company. “Les entreprises qui avaient suspendu leurs livraisons sont revenues en mars et nous avons assisté à une augmentation progressive des échanges, à mesure que les compagnies de fret s’adaptaient à la situation”, ajoute-t-il.Le port d’Ashdod est une illustration parmi d’autres de l’étonnante résilience de l’économie israélienne. A la situation sécuritaire dans le pays s’ajoute un tableau économique peu réjouissant : la croissance est en berne, le déficit budgétaire s’est creusé et la dégradation de la note de crédit par l’agence de notation Moody’s, le 27 septembre, sonne comme un nouveau revers pour l’État hébreu. A en croire, pourtant, le ministre israélien de l’Economie et de l’Industrie, Nir Barkat, ce bilan est à relativiser. “Au fil des guerres et des épisodes de violence dans notre région, nous avons appris qu’il y a généralement un léger déclin pendant la guerre, mais qu’un rebond économique se produit dès sa fin”, confie-t-il à L’Express.Des importations en déclinIsraël, tributaire du commerce extérieur, a vu ses importations de marchandises plonger de 15 % en 2023 et de près de 8 % sur les huit premiers mois de cette année. Une partie de ce recul peut être attribuée au déclin de la demande intérieure, explique Eran Yashiv, professeur d’économie à l’université de Tel-Aviv et membre du Center for Macroeconomics à la London School of Economics. “Entre octobre et décembre 2023, près de 300 000 hommes ont été mobilisés dans l’armée et de nombreuses personnes ont été déplacées depuis la frontière avec le Liban. Ces mouvements ont entraîné une baisse de la consommation, et donc une diminution des importations de biens et de services”, détaille l’universitaire.En parallèle, l’instabilité en mer Rouge, liée aux attaques des rebelles Houthis, a rendu plus dangereux l’acheminement de marchandises vers Israël. Le temps de transit s’est rallongé de plusieurs semaines, de nombreux navires choisissant désormais de passer par le cap de Bonne-Espérance. Et ces retards se sont reflétés sur les prix, le taux d’inflation israélien oscillant entre 2,5 et 3,7 % depuis le début du conflit.La crise a particulièrement affecté les secteurs de l’agriculture et de la construction. Ces derniers ont été frappés par une pénurie de main-d’œuvre au début du conflit, alors qu’Israël n’autorisait plus l’entrée de travailleurs palestiniens, qui étaient nombreux dans la filière agricole. Quant au secteur des hautes technologies, qui porte l’économie du pays, il a subi une baisse des levées de fonds de 33 % sur le dernier trimestre 2023 par rapport à l’année précédente. “Si le déclin de l’investissement se poursuit et s’accompagne d’une fuite des cerveaux, le milieu de la tech pourrait en pâtir fortement. C’est un problème majeur”, s’inquiète le professeur Eran Yashiv.Ultime coup dur pour l’Etat hébreu : la Turquie, qui fournissait à Israël un large éventail de marchandises, notamment des métaux et des matériaux de construction, lui a tourné le dos au printemps dernier. Ankara a réclamé, pour la reprise des échanges, un cessez-le-feu permanent entre Israël et le Hamas et un flux d’aide humanitaire ininterrompu vers Gaza. Quelques mois plus tard, la Colombie lui a emboîté le pas, annonçant suspendre ses exportations de charbon vers Tel-Aviv.S’ajuster à la nouvelle réalitéFace à la décision de la Turquie, le monde des affaires israélien n’a pas baissé les bras. “A l’époque, les dirigeants des entreprises m’ont dit : ‘Nous savons comment gérer cette situation et nous n’avons pas besoin de l’aide du gouvernement'”, se souvient le ministre de l’Economie Nir Barkat.Si, officiellement, les relations commerciales avec la Turquie ont été suspendues, le business passe aujourd’hui par des voies alternatives, observe Elad Barshan, fondateur de la société SlickChain, une plateforme digitale pour le commerce international de véhicules. “Les marchandises turques sont détournées vers des pays tiers comme la Grèce, la Slovénie et la Géorgie, d’où elles sont réacheminées vers Israël. Il est facile de modifier les documents d’expédition, ce qui permet au commerce de se poursuivre en toute discrétion”, explique-t-il. Difficile, toutefois, de quantifier ces flux, faute de statistiques sur l’origine des marchandises lorsqu’elles passent par un pays tiers.Dès juin, les échanges israéliens de biens avec l’Union européenne ont augmenté proportionnellement au déclin commercial entre Ankara et Tel-Aviv, remarque Noah Trowbridge, analyste de risques maritimes chez Dryad Global. “Le transit de biens étrangers – notamment le pétrole azéri – de la Turquie vers Israël ne semble pas avoir été particulièrement affecté par ces sanctions”, ajoute-t-il.Le fret maritime s’est aussi adapté à la menace persistante des Houthis, les armateurs payant désormais des primes de risque sur les marchandises transportées. Ces primes s’élèvent entre 0,25 % et 0,65 % de la valeur assurée, en fonction des ports israéliens desservis, soit deux fois plus que pour le port de Benghazi, en Libye, note Elisabeth Braw, chercheuse principale à l’Atlantic Council. “La poursuite des échanges avec Israël n’est pas une position politique, souligne-t-elle, c’est une décision commerciale. De nombreuses compagnies continuent de naviguer vers les ports israéliens parce qu’elles estiment que cela vaut la peine de prendre ce risque et de payer une prime.”Au fil des mois, le secteur agricole israélien s’est remis d’aplomb. Il produit actuellement 95 % de ses volumes avant la guerre, indique le ministre Nir Barkat. Des bénévoles ont prêté main-forte dans le sud du pays – le plus touché par les frappes – et des travailleurs sont arrivés de l’étranger. Résultat : Israël est parvenu à augmenter ses exportations de fruits et légumes vers l’Union européenne, en 2023 comme sur la première partie de 2024. Le secteur de la tech, enfin, s’est doucement relevé, affichant une hausse des levées de fonds au deuxième trimestre 2024. Au total, les firmes israéliennes ont levé 8,8 milliards de dollars entre le 7 octobre 2023 et le 15 août 2024, une part grandissante étant liée aux entreprises de cybersécurité.Partenaires solidesL’économie israélienne a pu résister au conflit grâce à plusieurs alliés de longue date. Si la masse globale de ses échanges avec l’Etat hébreu a connu une inflexion, l’Union européenne a gardé son rang de premier partenaire commercial, augmentant par exemple ses exportations de métaux et de produits chimiques industriels sur les huit premiers mois de cette année. Des échanges qui devraient encore augmenter, Israël ayant lancé une réforme pour harmoniser les standards réglementaires sur ses importations. Les exportations de marchandises israéliennes vers les Etats-Unis ont progressé de 14 % entre juin et août, avec d’importants volumes d’équipements électroniques et de produits chimiques. Le pays cultive aussi ses relations avec l’Inde, fidèle acheteur de diamants israéliens, et poursuit ses échanges avec les Émirats arabes unis, impulsés par la signature des accords d’Abraham en 2020.La Chine – son troisième partenaire commercial – a vu ses exportations vers Israël augmenter de 13 % entre juin et août. Pékin fournit, entre autres, des équipements électroniques ou du textile, et s’est imposée sur le marché local des véhicules électriques. “La volonté de chercher d’autres partenaires que la Turquie pourrait être l’une des raisons à cette hausse des exportations chinoises”, analyse Tomer Fadlon, chercheur associé à l’Institute for National Security Studies.Sur le plan géopolitique, la Chine se montre pourtant proche des ennemis d’Israël et tarde à condamner le Hamas et le Hezbollah. Mais cette hostilité ne se reflète pas sur les volumes commerciaux entre les deux pays. “La Chine adopte cette posture diplomatique non pas parce qu’elle est contre Israël en tant que tel, mais parce qu’Israël est un proche allié des Etats-Unis, son grand rival sur la scène mondiale”, note Tomer Fadlon. Nir Barkat se veut pragmatique : “En tant que ministre de l’Economie, je me focalise sur le coût de la vie en Israël. Tant que la Chine continue à nous fournir des produits bon marché dans des conditions honnêtes, cela nous convient.”Prudence de miseIl y a un an, Tomer Fadlon pensait que le conflit aurait un impact beaucoup plus important sur l’économie israélienne. “Mais personne ne sait combien de temps cette résilience va durer, surtout au vu des récents événements”, s’interroge le chercheur. Les attaques de missiles iraniens sur Israël et l’intensification du conflit au Liban brouillent un peu plus les perspectives macroéconomiques.La prudence reste donc de mise. “Nous continuons de recommander à nos clients de ne pas transiter par la mer Rouge jusqu’à ce qu’un accord de cessez-le-feu pérenne soit signé entre Israël, le Hamas et le Hezbollah”, indique l’analyste Noah Trowbridge. “D’ici-là, les primes de risque pour le fret sont vouées à augmenter, au vu notamment de l’escalade actuelle”, prévient-il. Un contexte qui modifie aussi les équilibres au sein de l’Union européenne. Si la majorité des Vingt-Sept restent réticents à imposer des sanctions à Israël, l’Irlande et l’Espagne ont demandé à revenir sur l’accord de libre-échange signé en 1995 avec le pays. Une première.



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Author : Tatiana Serova

Publish date : 2024-10-04 06:00:00

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