“Qu’il est important d’être à table, de boire un verre de vin, de dialoguer… Combien de guerres auraient été évitées devant un bon dîner ?”, s’interrogeait récemment Le ministre italien de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire Francesco Lollobrigida. De préférence avec des mets Made in Italy pour orner la table des discussions. Ravalée au rang de énième gaffe, cette sortie sur la “diplomatie de la convivialité” a bien peu convaincu, au moment où les conflits en Ukraine et au Proche-Orient continuent de faire rage. Si à Rome ce type de prises de position font sourire, à Bruxelles elles font grincer des dents. Ces derniers mois, l’activisme du gouvernement italien sur les dossiers agroalimentaires a atteint de tels niveaux qu’on n’hésite plus désormais à dénoncer une “gastrodiplomatie” agressive.Francesco Lollobrigida est sur tous les fronts dans la lutte contre les aliments de synthèse, les farines d’insectes ou encore les avertissements sanitaires sur l’alcool et le Nutri-Score. A l’automne dernier, le gouvernement de Giorgia Meloni était ainsi le premier au monde à interdire aux entreprises de produire et de vendre de la viande artificielle sous peine d’amendes pouvant aller jusqu’à 60 000 euros. Et qu’importe si la vente de produits de ce genre n’est pas encore autorisée dans l’UE ! Il s’enorgueillissait d’être à “l’avant-garde d’un combat de civilisation contre la nourriture Frankenstein”.”La question identitaire la plus importante”Cette offensive s’est accélérée l’an dernier. Le 23 mars 2023, l’Italie dépose à l’Unesco la candidature de la cuisine transalpine – en bloc – au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. “Sans rien enlever à celle mexicaine, française ou japonaise, je crois que la nôtre n’a pas de rival au monde”, insiste à l’époque Francesco Lollobrigida. De quoi flatter le “gastronationalisme” revendiqué par la grande majorité des Italiens qui entretiennent un rapport passionné, voire passionnel aux recettes de leur pays. “La question alimentaire est devenue la question identitaire la plus importante. C’est l’unique drapeau que l’orgueil national peut déployer et cela frise le nationalisme culinaire, explique l’historien de l’alimentation Alberto Grandi. Le gouvernement affirme a priori que tout ce qui est Made in Italy est nécessairement sain, et tout ce qui ne l’est pas, potentiellement mauvais.”A Bruxelles, l’Italie s’est ainsi montrée particulièrement véhémente contre le Nutri-Score (l’étiquetage nutritionnel). Sa représentation permanente auprès de la Commission européenne, les lobbys de son industrie agroalimentaire et la puissante Confédération des agriculteurs (Coldiretti) se sont impliqués sans compter pour entraver l’adoption de ce système harmonisé au niveau de l’UE. La France affirmait que cela permettrait d’améliorer l’information des consommateurs sans compromettre la compétitivité des produits du terroir. Mais Rome dénonçait une “offensive en règle lancée par Paris et Berlin contre l’huile d’olive, le parmesan ou la Mozzarella”, produits phares de ses exportations.Les hérauts du Made in Italy culinaire s’offusquent qu’ils puissent écoper d’un D infamant tandis que des frites surgelées ou des sodas sont affublés de lettres rassurantes. Dans sa bataille, le gouvernement italien a pu compter sur l’appui de l’Espagne et de la République tchèque pour torpiller l’adoption du Nutri-Score. En vain. Autre pays dans le viseur de la “gastrodiplomatie” transalpine : l’Irlande. Elle sera le premier pays de l’UE à garantir, à partir de 2026, l’apposition sur tous les produits alcoolisés d’un étiquetage complet indiquant les risques sanitaires liés à leur consommation. Indignation chez les vignerons européens, italiens en tête. Le gouvernement Meloni a sonné la mobilisation générale pour bloquer l’extension de cette mesure aux autres pays de l’UE. “Ce projet divise l’Europe et nous activerons toutes les formes de résistance possible pour l’empêcher, proclame Francesco Lollobrigida. Les Irlandais ont un problème avec l’alcool, pas les Italiens. Le vin est un produit d’excellence qui représente notre Histoire et notre Culture”. Il représente surtout un pilier important de l’économie transalpine.Plus globalement, les exportations agroalimentaires de la péninsule ont battu un nouveau record en 2022 avec un volume de ventes de 60,7 milliards d’euros, soit une augmentation de 17 % par rapport à 2021. Des chiffres qui ne reposent pas sur de petits producteurs vertueux, mais sur la grande industrie. Sur ces quelque 60 milliards d’euros d’exportations, près de 10 milliards sont réalisés par le seul géant Ferrero. Barilla et Lactalis figurent parmi les autres champions de ce Made In Italy agroalimentaire défendu avec tant d’âpreté par le gouvernement Meloni. Francesco Lollobrigida devrait peut-être organiser un dîner à Bruxelles avec ses homologues pour éviter un conflit gastronomique.
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Publish date : 2024-08-04 07:30:00
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