Il a dégainé un peu trop tôt. Le 3 janvier, Donald Trump a exhorté le Royaume-Uni de relancer l’exploration pétrolière le long de ses côtes. “Ouvrez la mer du Nord”, a-t-il écrit sur son réseau Truth Social, demandant aussi aux autorités de se “débarrasser” des éoliennes qu’il exècre. Le président élu des Etats-Unis, prochainement investi, aurait mieux fait de retarder son conseil de quelques jours… Car le 6 janvier, Joe Biden a paraphé l’interdiction de tous nouveaux forages offshore d’hydrocarbures sur plus de 2,5 millions de kilomètres carrés, couvrant des zones de la côte Atlantique, Pacifique, du golfe du Mexique et au large de l’Alaska. Le républicain a immédiatement contesté cette décision, qu’il souhaite annuler dès son retour à la Maison-Blanche. Mais revenir dessus pourrait ne pas être si facile. Comme tenir toutes les promesses de son mantra de campagne : “drill, baby, drill” (“fore, chéri, fore”).Avec ces interdictions de dernière minute, Joe Biden entend à la fois cimenter son legs climatique et compliquer la tâche de son successeur, dont l’objectif est de doper les productions de pétrole et de gaz, des énergies hautement carbonées. Selon la presse américaine, le démocrate s’appuie sur une loi de 1953, le “Outer Continental Shelf Lands Act”, qui donne au gouvernement fédéral autorité sur l’exploitation des ressources du sous-sol marin au large des côtes. Et elle n’accorde pas aux présidents suivants le pouvoir légal de révoquer ces décisions. Donald Trump le sait mieux que quiconque : il s’est déjà cassé les dents sur cette juridiction. Lors de son premier mandat, le milliardaire voulait revenir sur des interdictions de forage en mer actées par Barack Obama dans certaines parties de l’océan Arctique et de l’Atlantique. Une décision de justice datant de 2019 en a statué autrement : le président doit passer par le Congrès pour arriver à ses fins.Certes, les républicains y détiennent la majorité. “Mais elle reste assez fine. Des élus de son camp pourraient s’opposer à certaines mesures touchant leurs espaces côtiers pour se distancier de lui, analyse Alix Frangeul-Alves, coordinatrice du programme Risques géopolitiques et stratégie pour le think tank The German Mashall Fund of the United States. “Il ne faut pas croire que les républicains veulent absolument tout polluer. A la fin, beaucoup regardent quel est l’intérêt économique”, confirme Anne-Sophie Corbeau. La chercheuse au Center on Global Energy Policy rappelle aussi les dégâts causés par la marée noire de Deepwater Horizon en 2010, dans le golfe du Mexique, et la catastrophe environnementale qui a suivi. “Je ne pense pas qu’un parti ou l’autre veuillent que cela se reproduise.””Les marchés vont décider”Au-delà des obstacles laissés par Joe Biden avant de quitter le bureau Ovale, le “drill, baby, drill” de Donald Trump pourrait surtout se heurter… à la volonté même des entreprises. Il en a senti les effets ce mercredi 8 janvier : pour la seconde fois en quatre ans, la vente aux enchères de concessions pétrolières et gazières dans une aire protégée du nord-est de l’Alaska s’est soldée par un échec. Aucune offre n’a été déposée. “Pendant la révolution du gaz de schiste, les compagnies disaient : ‘on fore, on fore, on fore’. Or elles ne veulent plus seulement faire du forage, mais de l’argent, pointe Anne-Sophie Corbeau. Elles vont être particulièrement attentives aux prix. In fine, les marchés vont décider.” Et non le président élu, qui avait promis pendant sa campagne de diviser par deux les tarifs dans les dix-huit premiers mois de son mandat. “Ces annonces ne vont pas du tout dans le sens de la réalité économique”, balaye la chercheuse.Contrairement à l’Europe, le secteur américain du pétrole et du gaz est composé d’une myriade d’acteurs de toutes tailles. Chacune, forcément, avec sa propre stratégie. “Des entreprises vont tout à fait être dans la ligne de Trump, et d’autres, avec une vision plus internationale, plus soucieuses de leur image, diront : ‘Attention, cela ne doit pas redevenir le Far West'”, poursuit Anne-Sophie Corbeau. C’était le sens du message envoyé par Darren Woods, le PDG d’ExxonMobil, à Donald Trump lors de la dernière COP29 à Bakou. Il lui demandait de “ne pas retirer les Etats-Unis des accords internationaux” sur le climat, comme lors de son premier mandat, afin d’éviter une nouvelle période d’incertitude mauvaise pour les affaires.Moratoire sur le GNLCelles-ci ne se portent pas si mal… Même sous Joe Biden. Selon une analyse de l’agence américaine de l’énergie publiée en mars 2024, “les Etats-Unis ont produit plus de pétrole brut qu’aucun autre pays durant les six dernières années”. C’est aussi le premier producteur mondial de gaz. Si le président démocrate a sanctuarisé de nombreux territoires et multiplié les engagements volontaristes pour lutter contre le changement climatique, il a en parallèle approuvé le projet “Willow” du pétrogazier ConocoPhillips en Alaska. Soit l’une des exploitations d’hydrocarbures les plus importantes du pays.Ainsi, aux yeux d’Alix Frangeul-Alves, la récente interdiction de forages offshore de Joe Biden relève davantage “de l’action symbolique et politique. Les incidences seront assez limitées pour les industriels, puisque ces espaces sont très peu exploités alors que la majeure partie de la production américaine se fait dans le bassin permien [NDLR : dans les Etats du Texas, du Nouveau-Mexique et dans les Appalaches]”. Comme l’était, l’an dernier, le moratoire décrété sur construction de nouveaux terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL) – sur lequel devrait aussi rapidement revenir son successeur.”Donald Trump veut faire honneur à son slogan, Make America Great Again, et ramener la prospérité dans son pays, sauf que beaucoup de ses sorties sont contradictoires, conclut l’experte du German Mashall Fund of the United States. Il dira tout ce qu’il veut aux Américains pour prouver qu’il est capable de leur apporter sécurité économique et énergétique, qui sont au centre du concept de sécurité nationale… Même si cela ne se passe pas réellement.”
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Author : Baptiste Langlois
Publish date : 2025-01-15 06:00:00
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