Il n’est resté que quelques heures sur le sol groenlandais, le temps de faire quelques selfies et de distribuer des casquettes “Maga” (Make America Great Again). Mais en s’y rendant le 7 janvier, juste après les déclarations fracassantes de Donald Trump, son fils Trump Jr. a ajouté un peu plus de confusion et d’inquiétude à l’avenir de cette terre peuplée de 56 000 âmes.En refusant d’exclure l’annexion par la force de la grande île du monde, l’ex-futur locataire de la Maison-Blanche a en effet suscité la sidération à Copenhague et à Nuuk, capitale de ce territoire semi-autonome de plus de 2 millions de kilomètres carrés appartenant à la couronne danoise. “Le Groenland appartient aux Groenlandais. On ne veut pas être Danois, on ne veut pas être Américains, on veut être Groenlandais”, a martelé le 10 janvier son Premier ministre, Mute B. Egede, lors d’une conférence de presse avec son homologue danoise Mette Frederiksen. Et pour cause : loin de chercher à se vouer à une nouvelle puissance, le Groenland aspire depuis des décennies à une indépendance complète.Absurde, vraiment ?De fait, l’intérêt du milliardaire pour cette île riche en ressources naturelles n’est pas nouveau. Déjà en 2019, lors de son premier mandat, il avait proposé de l’acheter au Danemark, avant de se voir opposer une fin de non-recevoir de Copenhague qui avait jugé la proposition “absurde”. Cinq ans plus tard, le président nouvellement réélu affirme que le contrôle de ce territoire relevait d’”une nécessité absolue” pour “la sécurité nationale” des Etats-Unis et “la liberté à travers le monde”. Le débat sur l’indépendance du Groenland et les dernières annonces faites par les États-Unis témoignent du grand intérêt que suscite le Groenland, a répondu la Première ministre danoise, prenant garde à ne pas froisser Washington. Les États-Unis sont notre allié le plus proche et nous ferons tout pour poursuivre une coopération solide.”Si le scénario d’une annexion par la force paraît, à ce stade, totalement baroque, d’anciens membres de l’administration Trump n’en avaient pas moins défendu en octobre dernier l’hypothèse d’un accord de libre association avec Nuuk – si elle venait à accéder à l’indépendance -, à l’image de celui existant entre Washington et les îles Marshall, Palau et la Micronésie. Par ce traité, ces trois Etats du Pacifique accordent aux Etats-Unis un accès militaire exclusif à leur territoire – en plus du droit de refuser cet accès à d’autres puissances, en échange de la protection de Washington et d’une aide au développement économique.Dans un tel cas de figure, il reviendrait toutefois à Washington de remplacer le Danemark en tant que principal bailleur de fonds de l’île arctique – entre 750 millions et un milliard de dollars par an.Facture saléeMais le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Derrière le coup d’éclat, la facture apparaît salée pour une Amérique qui jouit d’ores et déjà d’une grande liberté d’action chez son voisin de l’Arctique. “Les Etats-Unis ont trois intérêts principaux au Groenland : avoir un accès aux terres rares, être présents militairement et bloquer l’influence chinoise, liste Jon Rahbek-Clemmensen, professeur associé au Royal Danish Defence College, où il dirige les recherches du Centre d’études sur la sécurité arctique. Or, ils atteignent déjà en grande partie ces trois objectifs sans avoir à mettre la main au portefeuille. Changer cela serait mettre un but contre son camp…”Depuis 1943, l’armée américaine dispose en effet de la base spatiale de Pituffik, dans le nord-ouest de l’île, chargée de la détection précoce des menaces aériennes dans la région arctique. “Le Danemark et le Groenland se sont montrés très ouverts à de nouvelles négociations si les Etats-Unis voulaient bénéficier d’un accès plus large à des fins militaires”, poursuit le chercheur.Le Groenland a annoncé jeudi avoir accordé sa première grande concession minière à une compagnie minière britannique qui va avoir recours à des travailleurs chinois.Au-delà des seules questions de sécurité, les portes du Groenland sont par ailleurs – déjà – grandes ouvertes aux intérêts américains sur le plan économique. En 2019, les Etats-Unis et le Groenland ont signé un accord pour renforcer leur coopération dans les activités minières. Une étude publiée en 2023 avait montré que 25 des 34 minerais considérés par l’UE comme des “matières premières critiques” sont présents au Groenland, comme le graphite ou le lithium utilisés dans les batteries. “Les autorités groenlandaises tentent depuis longtemps d’attirer les sociétés étrangères du secteur, note Astrid Nonbo Andersen, historienne au Danish Institute for International Studies. Mais la pénurie de main-d’œuvre sur place et les coûts élevés associés à l’extraction dans l’Arctique constituent encore des freins.” Pour cette raison, un changement du statut de l’île n’aurait pas forcément d’effet vertueux sur l’économie. Et l’industrie minière groenlandaise restera certainement longtemps sous-développée, malgré la richesse de son sous-sol.”Aucun sens”Quant à l’objectif américain de freiner l’influence chinoise, il est, lui aussi, déjà largement atteint. “Plusieurs entités chinoises ont tenté de prendre pied au Groenland il y a une dizaine d’années, mais la pression américaine à la fois sur Nuuk et Copenhague les a mis en échec, retrace Ulrik Pram Gad, chercheur au Danish Institute for International Studies. Aujourd’hui, tout le monde comprend bien que les États-Unis n’autoriseront jamais des investissements chinois dans les infrastructures.” Et le message semble être passé. Depuis 2019, aucun projet de premier plan n’a été proposé par un acteur chinois. “Sur le papier, acquérir le Groenland peut paraître tentant pour les Etats-Unis, mais lorsqu’on examine le fond de la question, cela n’a pas vraiment de sens, conclut Jon Rahbek-Clemmensen. Ce serait même contre-productif pour les intérêts américains : en définitive les seuls à en tirer profit seraient la Chine et la Russie.” Car l’affaire, en plus de coûter cher au contribuable américain, pourrait laisser des traces indélébiles dans la relation entre Washington et son allié danois, voire avec l’Union européenne. Un bilan qui ne serait guère brillant pour Donald, “le roi du deal”…
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Author : Paul Véronique, Charles Haquet
Publish date : 2025-01-15 15:00:00
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