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L’Express

Trafic de drogues : “La diffusion de toutes les substances progresse chez les adultes”

Les échantillons de drogues collectés en 2023 mettent en évidence des produits plus concentrés, peu altérés, avec pour la cocaïne une offre et une demande toujours plus élevées




Promotions pour Halloween ou le Nouvel An – deux grammes achetés, le troisième offert -, livraisons à domicile, parfois avec option de suivi par GPS, sachets imitant ceux de bonbons populaires, vidéo léchée de présentation du produit, mais aussi baisse des prix, augmentation de la consommation et nouveaux incidents sanitaires… L’observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) publie ce mardi 14 et mercredi 15 janvier deux nouveaux rapports que L’Express a pu consulter. Le premier, “Tendances”, analyse l’état du marché des drogues en France et interroge les consommations en population générale. Il explique comment les réseaux de dealers se professionnalisent, avec des pratiques de ventes innovantes et un marketing agressif, ainsi qu’une “ubérisation” des services de livraison. Il s’inquiète, encore, de l’essor de l’usage de cocaïne basée (le crack) et des drogues de synthèse, notamment les imitations d’opioïdes qui ont provoqué des alertes sanitaires. Il dresse, enfin, le tableau des prix des principales drogues et médicaments psychotropes.Le second rapport, “Drogues et addictions, chiffres clés” (DACC), rassemble les chiffres les plus récents pour quantifier et décrire l’usage de drogues et médicaments psychotropes. Il détaille le nombre d’usagers des principales drogues – alcool, cigarette, cannabis, cocaïne, ecstasy (MDMA) et héroïne, ainsi que les jeux de hasard -, et l’évolution des tendances sur les dix dernières années. S’il fait état d’un recul des consommations de drogues légalement accessibles (alcool et tabac) chez les adultes, il alerte sur l’augmentation de la consommation des substances illicites. Il révèle aussi une bonne nouvelle : la baisse marquée de la consommation de l’alcool, du tabac et du cannabis chez les jeunes de 17 ans. Ces deux rapports, qui s’ajoutent aux nombreuses enquêtes réalisées ces dix dernières années, permettent de mieux comprendre les enjeux du marché de la drogue et des addictions en France, explique Ivana Obradovic, directrice adjointe de l’OFDT et chercheuse associée au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales. Entretien.L’Express : Vos travaux font état d’une augmentation de l’offre et de la consommation des drogues illicites partout sur le territoire. Comment l’expliquer ?Ivana Obradovic : Lorsqu’on regarde les chiffres sur 10 ou 15 ans, l’évolution est très nette : la diffusion de toutes les drogues illicites progresse chez les adultes. Les principales raisons sont la disponibilité et l’accessibilité. C’est particulièrement le cas pour la cocaïne qui est devenue très accessible parce que la production au niveau mondial atteint des records (90 % de la feuille de coca vient de Colombie, de Bolivie et du Pérou). Cela explique la baisse du prix de la cocaïne, qui a été divisé par 4,5 en 30 ans et qui a même diminué de 40 % ces cinq dernières années dans toute l’Union européenne [NDLR : le gramme se négocie entre 60 et 80 euros aujourd’hui]. Le marché est désormais saturé. Ce phénomène touche la France, d’autant que cette drogue est acheminée à travers l’Atlantique et que nous sommes le deuxième domaine maritime mondial derrière les Etats-Unis et avons plus de 20 000 kilomètres de frontières maritimes avec 30 États.L’accessibilité de la cocaïne a aussi progressé : le consommateur peut en trouver bien plus facilement et la dangerosité perçue a diminué. Nos enquêtes montrent que le pourcentage de personnes qui considèrent que la cocaïne est dangereuse dès le premier usage a baissé de 10 points en 20 ans. Et à l’inverse, ceux qui considèrent qu’elle est dangereuse seulement si on la consomme tous les jours sont de plus en plus nombreux. En réalité, un usage occasionnel peut conduire aux urgences pour une intoxication aiguë. Il y a un défaut de connaissance clairement établi à ce sujet.Prix au gramme du cannabis, de la cocaïne, de l’héroïne, des médicaments opioïdes et des amphétamines en 2023.Et pour les autres drogues ?Pour le cannabis, nous constatons l’existence d’un noyau dur d’usagers quotidiens dans des tranches d’âge plus âgées, au-delà de 45 ans, ce qui témoigne d’un vieillissement des usagers de cannabis. La deuxième évolution concerne l’augmentation de l’expérimentation (le fait d’avoir essayé une fois au cours de sa vie), signe d’une large diffusion de cette drogue largement dans la population générale.Pour la MDMA (ecstasy) et les psychostimulants en général, nous observons que la consommation dépasse désormais le cadre festif, avec des usagers qui veulent par exemple “tenir au travail”, augmenter leurs performances ou rester éveillés. Cette tendance peut être interprétée en lien avec l’injonction de performance au travail et dans les fonctions sociales de la vie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le cannabis, qui est la drogue du ralentissement, est plutôt en reflux chez les jeunes générations, les plus exposées à ces injonctions.Prix des principales drogues illicites et des médicaments psychotropes
en 2023 (en euros, pour 1 gramme sauf mention contraire)Il y a également eu des alertes, l’année dernière, concernant l’augmentation de la consommation de la kétamine. L’avez-vous aussi constaté ?Ici encore, nous observons une diffusion au-delà du contexte festif et dans de nouvelles catégories de population. Notre enquête Europe 2023 montre qu’il y a désormais près de 0,6 % d’expérimentations de kétamine chez les adultes, et en particulier les 25-34 ans. C’est plus que l’héroïne ou le crack et juste un peu moins que les champignons hallucinogènes.Le rapport “Trend”, que vous publiez ce mardi 14 janvier, montre que les pratiques de vente et les modalités d’organisation des réseaux de trafic se perfectionnent afin de satisfaire les consommateurs. Quels sont les phénomènes les plus frappants ?La première tendance observée depuis les années 2010 est la numérisation du trafic de drogue en général. Désormais, il est possible d’acheter différents types de substances sur quasiment tous les réseaux sociaux et les messageries (WhatsApp, Telegram, etc.). Cela a contribué à renforcer l’accessibilité de tous les produits illicites, d’autant plus que ce commerce fait l’objet de stratégies de vente et de marketing qui se sont professionnalisées. Il y a des jeux de mots, des clins d’œil aux consommateurs et autres jeux de complicité qui sont mis en place. Par exemple la “Haribeuh” [NDLR jeu de mots avec Haribo et la beuh, le cannabis] qui a été commercialisée avec un sachet imitant les codes graphiques des fameux bonbons.Des sachets de “Haribeuh” contenant de la résine de cannabis, saisis par la Gendarmerie de Vaucluse en 2022.Il y a aussi la livraison à domicile, qui va de pair avec la numérisation, qui s’est intensifiée pendant le Covid, quand les accès aux points de deal étaient réduits par les confinements. Depuis, il y a eu une montée en puissance de ce mode d’approvisionnement, au point que le recours au point de deal a beaucoup diminué aujourd’hui (30 %, soit le même que pour la livraison à domicile). La numérisation implique aussi la création de ficher clients, puisque la livraison à domicile suppose de laisser son adresse, parfois même ses références de paiement. Les clients peuvent donc être relancés quand ils n’achètent pas pendant un certain temps, se voir proposer des promotions Nouvel An, etc. Toutes les techniques de force de vente du commerce légal sont utilisées.Exemples d’opérations de promotion de drogues sur les réseaux sociaux.Le rapport indique aussi que ces livraisons à domicile ne se limitent plus aux grandes agglomérations, mais aussi touchent aussi les zones rurales. Les réseaux ont-ils à ce point gagné en force ?Il s’agit d’un des effets de la numérisation et du développement de la livraison à domicile, qui s’est étendu aux petites villes, voire au milieu rural. Cette modalité d’approvisionnement n’est plus seulement utilisée par les consommateurs plus aisés, mais par tous. Nous avons vu des organisations de trafic qui, depuis Paris, Lyon ou Marseille, se décentralisent dans d’autres villes afin d’alimenter des plateformes de distribution locales.Quels sont les dangers qui vous paraissent les plus importants aujourd’hui ?L’alcool et le tabac font 75 000 et 41 000 morts par an. Ces deux produits représentent les principales problématiques en termes de conséquences sanitaires et sociosanitaires, puisque l’alcool est associé aux problèmes de violences sexuelles et routières. La cocaïne est une problématique émergente. Aujourd’hui, un adulte sur dix l’a déjà expérimentée. Les recours en urgence ont été multipliés par deux en dix ans et les séjours hospitaliers liés à une intoxication à la cocaïne par quatre. Or, une seule prise de cocaïne peut être très dommageable, en particulier quand elle est pure à 100 %, ce qui est de plus en plus le cas aujourd’hui.Les drogues de synthèse – qu’on appelle aussi nouveaux produits de synthèse (NPS) – connaissent aussi un important essor ces 10 dernières années. Depuis 2008, 450 NPS ont été identifiés pour la première fois en France et 950 dans l’Union européenne. Cela montre qu’il y a un renouvellement constant de ces molécules qui sont assez faciles à fabriquer. Il y a même des tutos en ligne. De plus, elles échappent aux forces de l’ordre, puisque leur principe est, justement, de ressembler aux stupéfiants à une ou deux différences moléculaires près, ce qui leur permet d’échapper à toute classification juridique. Des consommateurs peuvent aussi être trompés. En pensant acheter de l’héroïne, ils peuvent se retrouver un produit coupé avec des opioïdes ou des cannabinoïdes de synthèse. Il y a eu des alertes sanitaires l’année dernière à Paris, Montpellier et la Réunion.Le rapport DACC, que vous publiez mercredi, compare notamment la France avec 27 pays de l’Union européenne, plus la Turquie et la Norvège. Notre pays est désormais troisième en termes de consommation de cigarettes et de cannabis, septième en cocaïne, douzième en alcool et seizième en MDMA. Il semble que nous fassions donc mieux que nos voisins européens ?Effectivement, le rang de la France a reculé pour à peu près tous les produits. Il y a cinq ans, nous étions au deuxième rang en termes de consommation de cannabis et quatrième pour l’alcool. Aujourd’hui nous sommes respectivement au 3e et au 12e. De plus, l’usage de consommation du cannabis est stable ou en augmentation dans les autres pays de l’Union européenne. Le contre-exemple est le tabac, puisque nous étions cinquièmes et sommes désormais troisièmes.La section du rapport concernant les mineurs de 17 ans montre que toutes les courbes de consommation – alcool, tabac et cannabis – s’écroulent. Les jeunes font donc bien mieux que les adultes. Comment s’expliquent ces bons résultats ?Cette baisse de la consommation d’alcool, de tabac et aussi de cannabis chez les jeunes s’observe depuis une dizaine d’années. Mais ce n’est pas une surprise car avant de pouvoir quantifier ces évolutions, nous avions mené une enquête qualitative en 2014 auprès de 200 mineurs. Elle révélait que l’image de la cigarette était déjà très dégradée. Les nouvelles générations d’adolescents la considèrent comme un produit chimique nocif. Ils sont parfois marqués par des historiques de cancer dans leur famille et savent que c’est mauvais pour la santé, la peau, les dents etc. Certains évoquaient aussi les problématiques écologiques liées à la cigarette.Concernant l’alcool, certes, les jeunes boivent moins. Mais les alcoolisations ponctuelles importantes, soit le fait de boire au moins cinq verres, sont en augmentation, notamment chez les filles. On peut trouver une explication dans notre enquête de 2014, puisque nous avions distingué une mise à distance de l’alcool, avec des jeunes expliquant que leur première fois était toujours en famille, parfois sous une forme de contrainte, pour des événements. En revanche, les expérimentations avec leurs amis, dans des contextes festifs, étaient mieux vécues.Que pensez-vous du paradoxe Français, soit le fait que notre pays s’est doté d’une des législations antidrogue les plus dures et fait pourtant face à une consommation toujours importante ? Le Portugal, qui a dépénalisé les drogues, n’affiche-t-il pas de meilleurs résultats ?Nous avons beaucoup tendance à nous focaliser sur l’état de la législation. Mais quand on regarde en pratique, ce qui compte, c’est l’accessibilité des produits. Effectivement, la France a une législation parmi les plus sévères d’Europe. Mais en pratique, l’accessibilité du cannabis et de la cocaïne est relativement aisée. Le deuxième indicateur est le prix et le ratio prix/pureté, qui est malheureusement assez “favorable” en France. Il faut aussi considérer que nous sommes un pays de transit, avec des façades maritimes très importantes, ce qui peut provoquer “un effet passoire”.On prend souvent l’exemple de la dépénalisation de toutes les drogues au Portugal. Sauf que cette réforme a été mise en place pour répondre à une épidémie galopante d’héroïne. Le Portugal n’a jamais eu de gros problèmes avec le cannabis. Donc le fait qu’ils aient des niveaux de consommation de cannabis très faible n’est pas un bon indicateur. Ce n’est pas leur réforme qui a permis d’y arriver, c’est juste qu’ils n’ont jamais eu ce problème. C’est donc plus compliqué qu’il n’y paraît.



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Author : Victor Garcia

Publish date : 2025-01-14 11:06:00

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