La voie est sinueuse, périlleuse, tapissée de chausse-trappes et de peaux de banane. Surtout, l’issue est incertaine. Et pourtant, ils l’emprunteront… Ce vendredi 17 janvier à 11 heures, syndicats de salariés et représentants patronaux ont répondu à l’appel du chef du gouvernement. Même la CGT qui, jusqu’au dernier moment, a entretenu le flou sur sa participation. Lors de son discours de politique générale, mardi 14 janvier, François Bayrou avait appelé les partenaires sociaux à plancher ensemble sur le dossier des retraites afin de trouver des “voies de progrès” pour “une réforme plus juste”. Trois mois de discussions sans tabou pour trouver un accord sur un sujet qui hystérise les débats politiques et divise l’opinion publique. Ultime concession aux syndicats les plus dubitatifs, le Premier ministre a précisé, au lendemain de son grand oral à l’Assemblée nationale, que même sans accord général, un nouveau projet de loi pourrait être soumis au vote des députés. Si François Bayrou a présidé cette première rencontre, c’est un spécialiste du sujet, neutre politiquement, qui devrait animer les suivantes.”Évidemment, notre responsabilité est énorme, mais trouver des compromis, on sait faire”, veut croire Cyril Chabanier, le patron de la CFTC. “Face à la cacophonie politique, François Bayrou n’avait pas d’autres solutions que de remettre les partenaires sociaux au cœur des débats”, ajoute Pierre Ferracci, fin connaisseur des relations sociales et directeur du groupe Alpha.Le “conclave” de Bayrou est aussi une pierre jetée dans le jardin d’Emmanuel Macron. Comme si le locataire de Matignon voulait ressusciter aujourd’hui ceux que le président avait tenté d’éliminer hier. Au début de son premier quinquennat, Emmanuel Macron avait presque théorisé la rupture avec ces corps intermédiaires rétifs à la réforme et poussant à l’immobilisme. Reprenant ainsi les critiques formulées par un autre chef de l’Etat, Nicolas Sarkozy, qui en 2012 fustigeait lui aussi ces instances qui “font écran entre le peuple et le gouvernement”. Les tête-à-queue et autres renoncements de Macron sur la réforme systémique de la retraite à points, pourtant initialement soutenue par la CFDT et Laurent Berger, avaient acté le divorce entre l’Élysée et les syndicats de salariés.Les syndicats peuvent-ils réussir là où les politiques ont échoué ?”Aujourd’hui, l’idée de décentrer les débats pour jouer la carte de l’apaisement est de bon aloi”, abonde Bruno Mettling, ancien DRH d’Orange et président du cabinet Topics. Une manière habile aussi de saisir la perche tendue par tous les partenaires sociaux – à l’exception de la CGT – juste avant Noël. Dans une lettre adressée au successeur de Michel Barnier, les signataires s’inquiétaient des conséquences catastrophiques de l’instabilité politique sur l’activité économique et l’emploi du pays. Un appel à la responsabilité, face à une conjoncture économique de plus en plus sombre marquée par une explosion des défaillances d’entreprises et son cortège de plan sociaux. “Personne n’a pris la mesure de l’importance de cet appel conjoint. Pourtant, ils ont su mettre leurs divergences de côté”, poursuit Bruno Mettling.Mais s’entendre sur une nouvelle mouture de la réforme des retraites est une autre affaire que de lancer un cri d’alarme, aussi justifié soit-il. Les syndicats peuvent-ils réussir là où les politiques ont échoué ? Au Medef, Patrick Martin, ne cesse de répéter qu’il n’a aucune ligne rouge… Ni aucun tabou. “Laissez-nous faire”, a-t-il lancé en début d’année dans nos colonnes, rappelant que les partenaires sociaux, aux manettes du régime de retraite complémentaire Agirc-Arrco, ont su par le passé trouver des voies de passage délicates. Comme en 2014 quand ils sauvèrent le système de la quasi-faillite.Les cotisations sociales, nerf de la guerreAujourd’hui, le patronat veut surtout remettre sur la table le chantier pharaonique du financement de la protection sociale. Avec cette question presque existentielle : comment continuer de financer le système par répartition alors que le rapport entre le nombre de cotisants et de bénéficiaires n’a cessé de chuter, passant de 4,2 en 1965 – le pic – à 1,3 aujourd’hui, d’après les chiffres de la Caisse nationale d’assurance vieillesse ? Pour le Medef, il s’agit de trouver de nouvelles sources de financement, plus pérennes, et d’en profiter au passage pour gagner en compétitivité et accroître le salaire net. Avec un tour de passe-passe qui viserait à réduire les cotisations sociales patronales et salariales en échange d’une augmentation de TVA. Un rapide calcul montre qu’une baisse de deux points des cotisations sociales pourrait être financièrement comblée par un relèvement d’un point du taux normal de TVA. Difficile d’imaginer les syndicats les plus radicaux accepter une telle bascule, alors que l’augmentation des cotisations – ou la suppression de certains allègements – est au cœur de leurs propositions. “Si la CFDT acceptait un tel deal, ce serait évidemment en échange de concessions sur l’âge de départ à la retraite, la pénibilité et la retraite des femmes”, souffle l’un des négociateurs.La main du politiqueLa démocratie sociale sortira-t-elle de sa phase “zombie” ? “Si les syndicats parviennent à un accord, même bancal, ils retrouveront la place qu’ils ont perdue depuis longtemps. Ils savent qu’ils ont un pistolet sur la tempe et certains seraient prêts à quelques compromis”, veut croire Pierre Ferracci. Reste à savoir ce que le Parlement ferait ensuite d’un tel texte. “Imaginer que les députés voteront cet accord sans chercher à laisser leur empreinte par de multiples amendements est totalement illusoire”, observe Antoine Foucher, l’ancien directeur de cabinet de Muriel Pénicaud et président du cabinet Quintet. Or, si ces amendements aboutissaient finalement à un creusement des déficits, l’exécutif pourrait toujours brandir l’article 40 de la Constitution qui stipule que les propositions formulées par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption a pour effet une aggravation de la charge publique. “Les syndicats sont aujourd’hui des acteurs instrumentalisés par les politiques, ils ont succombé à leur désir d’exister. Le costume est trop grand pour eux”, tacle Antoine Foucher. Tout ça pour ça ?
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Author : Béatrice Mathieu
Publish date : 2025-01-17 12:46:00
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