Mardi, un vertige pour Olivier Faure. Il a raté son coup… Les acquis du pacte de non censure, construit sur la base de nombreuses concessions négociées âprement depuis deux semaines entre les socialistes et le gouvernement, ont disparu. L’abandon de la suppression des 4 000 postes dans l’Education nationale, l’abandon du projet d’allongement du délai de carence de un à trois jours pour les agents de la fonction publique en cas d’arrêt maladie et tout le reste… Ce que le gouvernement avait fait miroiter au PS ne figure pas dans la déclaration de politique générale (DPG). Autre coup dur pour les roses : François Bayrou se permet de mettre son grain de sel dans la conférence sociale pour corriger la réforme des retraites imaginée par Olivier Faure. Si les syndicats et le patronat ne se mettaient pas d’accord, la réforme Borne entrerait en vigueur, sans passer par la case Parlement comme le réclamaient les socialistes, précise le Premier ministre.Dupés par le gouvernement, isolés au sein du Nouveau Front populaire où les écologistes et les communistes les ont lâchés, avec des Insoumis qui ne manquent pas de les moquer, les socialistes croient avoir manqué leur pari. Pis encore, la maison rose se divise, et le clan d’Olivier Faure tout particulièrement. Dans une réunion mercredi soir réunissant le soutiens du Premier secrétaire, plusieurs de ces derniers lui reprochent son refus, y compris après la DPG, de la censure, une prise de risque qui peut fragiliser le NFP. La grande majorité du groupe socialiste, qui s’est rassemblé dans un huis clos de plus de trois heures l’après-midi, n’est pas de leur avis. Une large tendance se dessine chez les parlementaires socialistes : deux tiers du groupe font le choix de la non censure. “Un chemin est encore possible” croit-on alors dans l’entourage d’Olivier Faure.”On peut censurer quand on veut”A l’Assemblée nationale, les vérités d’un mardi ne sont pas toujours celles du jeudi suivant. Ce 16 janvier, il est un peu plus de 12h30 quand le Premier secrétaire réunit son bureau national, l’instance stratégique du parti. La tension y est palpable : étrangement ses fidèles continuent de réclamer la censure. La pression des Insoumis de Jean-Luc Mélenchon se fait forte. Ses adversaires internes d’hier, François Hollande en tête, plaident pour la non censure, une réponse à la demande de “stabilité” politique réclamée par leurs électeurs. Olivier Faure prend le parti de ces derniers et affirme que la censure ne lui paraît pas la meilleure des options. “Il n’y a plus de pacte de non censure sur la table, et on peut censurer quand on veut. Doit-on le faire tout de suite ? Soit on dit oui, et on expose le pays à une présidentielle anticipée dont Marine Le Pen sortirait gagnante. Soit on enregistre diverses avancées que nous ne devons pas nous-mêmes minimiser”, argue-t-il, assurant que la situation était tout compte fait “une position de force” pour les socialistes “qui permet de faire avancer les causes auxquelles les Français sont attachées et pour lesquelles ils nous ont élus”.Parfois, le hasard fait bien les choses. Alors que les socialistes débattent encore du bien fondé de la non censure, François Bayrou leur transmet une lettre de trois pages. Tout ce qui ne figurait pas dans la déclaration de politique générale s’y trouve, ou presque. A vrai dire, ce courrier, les socialistes auraient pu le rédiger eux-mêmes. Dans des échanges le matin même avec Eric Lombard et François Bayrou, Olivier Faure et Boris Vallaud ont réclamé que soient inscrits noir sur blanc les acquis négociés, les dictant presque au téléphone aux deux ministres. Les socialistes peuvent souffler : la crise est derrière eux, et ils sauvent presque leur honneur, s’échappant du carcan du gouvernement autant que de celui de Jean-Luc Mélenchon. “Tout ce qu’on a gagné là va se traduire dans la vie des Français. C’est une victoire de fond, et une victoire stratégique : le gouvernement ne s’engage pas dans un dialogue en tête à tête avec le Rassemblement national”, se félicite le député PS de Paris Emmanuel Grégoire, qui prévient François Bayrou : “Ce n’est pas un chèque en blanc. Si nous avons été dupés, nous déposerons une motion de censure.” Les socialistes gardent leur balle dans le barillet.Le “en même temps” de Marine TondelierBien moins divisés qu’hier, les socialistes n’en restent pas moins isolés au sein du NFP. A la tribune, Olivier Faure le martèle : “Nous sommes dans l’opposition.” Et n’en oublie pas de charger les Insoumis dans son discours. Une première depuis 2022 et la création de la Nupes. Les écologistes et les communistes, qui avaient participé aux négociations avant de virer de bord et de se décider à voter la motion de censure, font grise mine. Ils peinent à cacher leur malaise devant les “petites victoires socialistes”. A la lecture du courrier de François Bayrou cédant aux demandes du PS, un proche de Marine Tondelier ne peut se retenir de citer Philippe Rickwaert, le personnage principale de la série Baron Noir : “De là d’où je viens, c’est-à-dire du peuple, quand on peut prendre, on prend. Parce qu’on en a besoin. On ne rejette pas des avantages parce que peut-être plus tard dans un monde idéal on peut en obtenir de meilleurs.”Juste après le discours de politique générale, les écologistes avaient entériné dans leur for intérieur que les socialistes s’étaient trompés. Les voilà moins convaincus par la censure. Marine Tondelier, secrétaire générale de la maison verte, s’emmêle les pinceaux. Son “en même temps” à elle : elle se félicite des gestes de François Bayrou, se les arrogeant presque, mais souhaite censurer. “Les concessions listées par François Bayrou sont en grande partie le résultat du travail parlementaire mené cet automne par le Nouveau Front populaire. Nos discussions des dernières semaines avec l’exécutif a permis de les sanctuariser (…). Nous pouvons êtres fiers d’avoir protégé les Français de grands reculs sociaux en perspective”, écrit-elle dans la première version d’un communiqué, tout en déplorant “l’inaction” du gouvernement sur le front de l’écologie que ses partenaires ne voient pas. “Nous y reviendrons”, conclut-elle, sans préciser si les députés verts vont censurer. Elle le fera quelques minutes plus tard, dans une seconde version du communiqué de presse : “D’abord on a une motion de censure à voter…”Comme attendu, le texte déposé par la France insoumise n’a pas été adopté. Seuls 131 députés l’ont votée, et, à gauche, quelques voix manquent à l’appel. Un député communiste et deux écologistes se sont fait porter pâle, dont Delphine Batho. Selon un de ses proches, celle qui fut autrefois socialiste approuve la stratégie du PS. Olivier Faure et Boris Vallaud, eux, limitent la casse : seulement huit socialistes ont voté la censure. Ce matin encore, avant le courrier de François Bayrou, les partisans de la censure dans le groupe socialiste étaient bien plus nombreux. Un cadre du PS souffle, soulagé : “On a réussi à faire comprendre ce qu’on faisait, qu’on ne fait pas quelque chose de honteux. On a réussi à arracher des choses.” Sisyphe heureux.
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Author : Olivier Pérou
Publish date : 2025-01-16 18:57:00
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