* . *
L’Express

Procès, menaces, divulgations de documents privés… L’Ordre des infirmiers en pleine guerre interne

L'Ordre national des infirmiers est en pleine tourmente.




Procès, menaces, divulgations de documents privés et boules puantes dans la presse… Depuis plusieurs mois, l’Ordre national des infirmiers est secoué par des guerres internes particulièrement violentes. Une situation largement déplorée, alors que cette jeune institution (créée en 2006, quand l’Ordre des médecins existe depuis 1940) fait face à de nombreux dossiers brûlants. L’instance doit porter la voix des infirmiers dans les multiples réformes politiques en cours : santé au travail, santé mentale, prérogatives des infirmiers en pratique avancée en matière de prescription de médicaments… Il doit aussi assurer l’éthique et la déontologie de la profession.Des missions d’autant plus difficiles que l’Ordre ne compte que 538 000 inscrits sur 650 000 ou 700 000 professionnels – un chiffre impossible à mesurer précisément -, alors que l’inscription est obligatoire. “Nous ne sommes même pas capables de nous entendre au sein d’un organisme censé montrer l’exemple ! Il faut pourtant que l’on se mette d’accord, entre autres pour obtenir l’amélioration de notre protection sur le terrain lorsqu’on se rend seule au domicile de patients”, fulmine une infirmière syndicaliste.L’élection de la présidente contestéeLes premières tensions ont éclaté en avril dernier, alors que l’Ordre s’apprêtait à élire un président pour trois ans lors d’élections se déroulant en trois tours : au niveau départemental, régional et national. Patrick Chamboredon, président de l’Ordre depuis 2017, est battu le 2 avril lors du deuxième tour. Il publie un communiqué le 4 avril pour informer de sa défaite. Sa ligne politique n’est pas éliminée pour autant : Alain Desbouchages, présenté comme son successeur, est toujours en lice. Il est pressenti comme l’un des favoris, tout comme sa concurrente Sylvaine Mazière-Tauran. L’élection s’annonce serrée. Mais le 17 avril, la veille du dernier tour, un article mettant en cause Patrick Chamboredon paraît dans Marianne. Le journal fait état de deux plaintes déposées contre X, d’un potentiel détournement de fonds et d’un “management de la terreur”. Le lendemain, Sylvaine Mazière-Tauran est élue présidente – à une voix près.L’issue du scrutin n’est pas du goût de tous. Dès le 2 mai, huit infirmiers et infirmières déposent un recours au tribunal administratif de Paris : ils demandent l’annulation des élections et la tenue d’un nouveau scrutin en urgence. Selon eux, l’article de Marianne constitue un acte de “propagande électorale” qui aurait “porté atteinte à la sincérité” du scrutin : en attaquant Patrick Chamboredon, il aurait discrédité ses partisans. Les plaignants avancent un autre argument, plus grave. La candidature de Sylvaine Mazière-Tauran serait illégale puisque cette dernière s’est présentée comme candidate de la région Rhône-Alpes alors qu’elle aurait dû se présenter en Ile-de-France.Selon eux, le Code de santé publique ainsi que les directives internes de l’Ordre imposent à tous les infirmiers de s’inscrire au tableau de l’Ordre de leur lieu de résidence et/ou de travail. Les candidats aux élections ne peuvent se présenter que dans la région où ils sont inscrits. Or ils suspectent Sylvaine Mazière-Tauran de vivre en banlieue parisienne car elle possède une adresse à Levallois-Perret et est membre du Rotary Club local. Accusée, la présidente fraîchement élue présente des documents suggérant qu’elle réside bien à Caluire-et-Cuire, en banlieue lyonnaise. Outre cette entorse supposée aux règles électorales, certains n’hésitent pas à affirmer que Sylvaine Mazière-Tauran n’a pas signalé son déménagement car ses chances de se faire élire en Ile-de-France auraient été nulles faute d’un réseau politique suffisant. “Les informations privées de la présidente diffuséesLe 28 mai, le tribunal administratif de Paris rend son avis et rejette le recours en référé au motif que la condition d’urgence n’est, selon lui, pas remplie. Fin de l’affaire ? Loin de là. “Le tribunal a estimé que le critère d’urgence n’était pas réuni. Mais nous maintenons notre recours sur le fond qui devrait être tranché d’ici un an ou plus”, explique Maître Jacques-Henri Auché, l’avocat des plaignants. La perturbation du processus électoral par l’article publié dans Marianne ainsi que la légalité de la candidature de Sylvaine Mazière-Tauran sont donc toujours sur la table.Quelques mois plus tard, le 5 septembre 2024, une personne se présentant comme “lanceur d’alerte sur Paris” envoie un mail aux 58 membres du conseil national et aux 70 présidents de département et région. Il dévoile les trois derniers avis d’imposition de Sylvaine Mazière-Tauran qui prouvent qu’elle réside à Levallois-Perret depuis 2022. “L’obtention frauduleuse et la diffusion de documents fiscaux me concernant constituent une pratique illégale grave et pénalement répréhensible, dénonce Mme Mazière-Tauran, interrogée par L’Express. Ces infractions portent atteinte à ma vie privée et justifient pleinement la plainte pénale que j’ai déposée dès le 10 septembre 2024. J’ai également saisi d’une alerte l’administration fiscale qui a engagé une enquête”. La présidente de l’Ordre estime que les contestations de son élection viennent de “certains élus, très minoritaires” et indiquer préférer se consacrer “à la défense des intérêts de la profession d’infirmiers, avec les élus du Conseil national de l’Ordre et l’ensemble des élus présents sur le territoire”, rappelant que “la tâche est immense”.Une guerre “très dommageable”Le conseil national de l’Ordre semble en tout cas accorder sa confiance à la nouvelle présidente. “Peu importent ces documents, car la présidente est retraitée et dans ce cas le Code de santé publique, qui prime sur nos directives internes, indique à l’article R4311-55 que’les infirmiers retraités sont affectés au collège dont ils relevaient au moment de leur départ en retraite’, et en l’occurrence le dernier lieu d’exercice – en Rhône-Alpes – fait foi”, assure auprès de L’Express Nicolas Milleville, élu au conseil national et président du conseil régional de des Hauts-de-France. “La critique qui m’est opposée ne repose sur aucun fondement légal, assure Mme Mazière-Taurantn interrogée par L’Express. Les textes légaux et réglementaires me rattachent professionnellement à la région Auvergne Rhône Alpes et constituent le seul critère devant être pris en considération”.”De notre côté, nous estimons à l’inverse que le Code de santé publique impose aux infirmiers de s’inscrire au tableau du département dans lequel ils souhaitent établir leur résidence professionnelle et, pour les retraités, de s’inscrire au tableau de leur lieu d’habitation”, rétorque maître Auché. Une question juridique que les juges devront trancher. “Quant à l’influence de l’article sur les élections, la réponse se trouve dans le Code électoral général. Selon nous, il est évident que cette publication a atteint la sincérité des votes”, poursuit le conseil des plaignants. Les deux camps s’entendent en tout cas sur un point : ils déplorent la diffusion des documents privés de Sylvaine Mazière-Tauran.”Toutes ces affaires sont très dommageables, car nous avons beaucoup de travail et des choses bien plus importantes à traiter”, abonde Nicolas Milleville. “Quand on veut abattre son chien, on dit qu’il a la rage”, analyse de son côté une infirmière syndiquée en réaction à l’article visant l’ancien président Patrick Chamboredon. La syndicaliste n’est pas plus tendre envers les attaques contre la nouvelle présidente : “Elle est retraitée, elle a le droit de payer ses impôts et de résider près de Paris. Tout ça, c’est une histoire de lutte de pouvoir déplorable. Selon moi, le vrai problème est que l’Ordre est principalement dirigé par des hommes, alors que la profession est composée à 80 % de femmes !”. Ambiance.Mystérieuses disparitionsPour ne rien gâcher à ce climat déjà lourd, de nombreux observateurs se sont étonnés de la disparition du site Internet de l’Ordre de fiches alertant sur les potentiels dangers et dérives de douze pseudothérapies comme l’auriculothérapie, la médecine anthroposophique, ou encore la naturopathie. Elles avaient été réalisées par l’ancienne présidence de l’Ordre en collaboration avec le Groupe d’Etude du Phénomène Sectaire (GéPS) et après consultation de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes). Leur publication en novembre 2023 avait été considérée comme un acte fort, d’autant que des études montrent que, dans le monde de la santé, les personnes qui ont le plus tendance à adhérer aux pratiques alternatives et qui ont le plus de réticence à se vacciner sont les infirmiers et les aides-soignants.Mais ces fiches ont disparu du jour au lendemain, sans explication. “Nous avons appris fortuitement la disparition des douze fiches d’information sur les médecines alternatives, regrette le GéPS. Nous avions mis un soin particulier à leur rédaction avec une analyse des données de la littérature scientifique et la presse avait souligné la qualité de ce travail, aussi cette marche arrière nous surprend. Faut-il y voir de possibles pressions de la part des tenants des médecines non conventionnelles ?””L’Ordre national des infirmiers mène actuellement des travaux sur ce sujet en commission Santé publique. Dans ce contexte, il a été décidé de retirer ces fiches, dans l’éventualité de leurs mises à jour. L’Ordre accorde la plus grande attention et la plus grande vigilance au développement des pratiques non conventionnelles”, répond Mme Mazière Tauran. Quid d’éventuelles pressions internes ou externes ? “C’est un peu une histoire à la James Bond, balaie de son côté Nicolas Milleville. Les fiches ont été retirées pour être retravaillées et précisées, il est prévu que ce travail soit effectué dans une commission dont je suis membre. Les nouvelles fiches seront remises en ligne, probablement en 2025”, ajoute l’élu. Pourquoi le conseil national n’a-t-il pas averti ses membres ni le grand public ? Personne n’a semble-t-il jugé nécessaire de le faire. Leur publication sera, assurément, scrutée de près. Tout comme la décision du tribunal administratif de Paris.



Source link : https://www.lexpress.fr/sciences-sante/proces-menaces-divulgations-de-documents-prives-lordre-des-infirmiers-en-pleine-guerre-interne-C7RJGGIYHZGTPPCC64YP3YH7KM/

Author : Victor Garcia

Publish date : 2025-01-12 15:00:00

Copyright for syndicated content belongs to the linked Source.

Tags : L’Express

.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . %%%. . . * . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - . . . . .