Dans la galerie de portraits hauts en couleur de l’administration Trump, le futur secrétaire au Trésor américain détonne. Pas de passé connu dans l’univers du catch comme la secrétaire désignée à l’Education, Linda McMahon. Pas d’expérience particulière des plateaux de télévision, comme l’animateur-chirurgien Mehmet Oz, le nouveau pilote de l’assurance-maladie américaine. Pas de prises de position tapageuses, comme l’inénarrable Elon Musk en a le secret, lui qui a pour mission de tailler dans les dépenses publiques. Scott Bessent, choisi par le président républicain pour gérer les finances fédérales, affiche, par contraste, un profil bien classique. Du moins, à première vue.Diplômé de Yale, ce sexagénaire est “un pur produit de l’élite américaine, résume Romuald Sciora, directeur de l’Observatoire politique et géostratégique des États-Unis à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Il a d’abord soutenu les démocrates Al Gore, Hillary Clinton et Barack Obama avant de se tourner, en 2016, vers Donald Trump”. Le choix peut surprendre mais “le Trump 2025 n’a rien à voir avec celui de la première campagne, rappelle le chercheur. A l’époque, entouré de très peu de professionnels, il n’avait pas de structure idéologique. C’est ensuite qu’il est devenu un politicien de la droite radicale, épaulé par des républicains dont le projet est de changer totalement l’Amérique ces quatre prochaines années. La vision de Bessent s’inscrit parfaitement dans ce projet”.Son parcours professionnel n’augurait pas un tel destin. Ce financier a passé la décennie 1990, puis les années 2011 à 2015 au sein du Soros Fund Management (SFM). Autrement dit le fonds d’investissement de George Soros, milliardaire honni d’une partie du camp républicain pour ses vues progressistes – avant de dire adieu à la Maison-Blanche, le démocrate Joe Biden, comme un pied de nez, lui a décerné début janvier la médaille présidentielle de la liberté, plus haute décoration civile aux Etats-Unis… Lorsque Scott Bessent quitte Soros pour lancer Key Square Capital Management, l’homme d’affaires hongrois alloue deux milliards de dollars à son fonds d’investissement. Mais les deux hommes ne se seraient plus parlé depuis huit ans.”Il saura parler aux marchés”A Wall Street, l’annonce de sa nomination comme secrétaire au Trésor a détendu l’atmosphère. “Bessent a une vue à la fois macroéconomique et financière, il saura parler aux marchés”, espère Raphaël Gallardo, chef économiste de la société de gestion Carmignac. “En cas de crise, il aura le pragmatisme et la crédibilité nécessaires”, ajoute Stephen Myrow, qui a vécu la débâcle financière de 2008 dans l’équipe du secrétaire au Trésor Henry Paulson. Au Soros Fund Management, Shahin Vallée a côtoyé de près Bessent, alors directeur des investissements. L’économiste se souvient d’un homme “taiseux, discret, très intelligent et très bien informé, qui sollicitait les consultants de tous les pays pour être au fait des changements politiques”.Face à l’imprévisible Donald Trump, son sang-froid s’annonce donc précieux. Entre le flou entretenu sur certains points clés de ce deuxième mandat, les revirements et les incohérences programmatiques, les observateurs s’arrachent déjà les cheveux. “Arrivera-t-il à arbitrer parmi les objectifs contradictoires de Donald Trump ? Sera-t-il en mesure de réduire les dépenses budgétaires ? Parviendra-t-il à trouver un moyen de pacifier les relations commerciales, après la mise en place de barrières douanières ? A maintenir une confiance forte dans le dollar et les bons du Trésor ?”, s’interroge Shahin Vallée. Le président élu décrie l’inflation – motif majeur de mécontentement des ménages américains qui l’ont porté au pouvoir – mais prévoit de relever les droits de douane tous azimuts. Il veut accélérer la croissance économique, mais fermer les frontières à l’immigration. Il plaide pour un dollar faible, mais toute sa politique conduit à une monnaie forte. Les conseillers de Trump risquent la migraine, et les marchés financiers, quelques secousses.Bessent va-t-il apporter un peu de rationalité dans ce capharnaüm ? Le futur grand argentier est surtout attendu au tournant sur les questions commerciales, centrales dans le logiciel trumpien. “Les droits de douane sont présentés comme la solution idéale aux problèmes de désindustrialisation, de choésion sociale, de déficit commercial et de déficit budgétaire”, observe Raphaël Gallardo. Dans ses prises de parole, Scott Bessent a eu l’occasion de modérer les propositions du 47e président, qui avait d’abord annoncé vouloir taxer la Chine à hauteur de 60 %, et tous les autres pays à 10 % avant d’assener un projet de 25 % pour le Mexique et le Canada. A l’entendre, ces menaces douanières s’apparenteraient surtout à une arme de négociation, pour faire plier les partenaires.Stephen Myrow, aujourd’hui membre de l’institut de recherche indépendant Beacon Policy Advisors, ne prend pas ce discours pour argent comptant. “Ce n’est pas juste une menace, ils vont les mettre en place. Car l’objectif n’est pas tant d’utiliser cet instrument pour négocier que de favoriser la production industrielle aux Etats-Unis et de réduire la dépendance à la Chine, estime-t-il. Si les conséquences de la guerre commerciale devenaient trop négatives, Bessent pourrait en revanche plaider pour des dérogations”. Déjà, selon le Washington Post, l’entourage de Trump étudierait la possibilité d’appliquer des taxes à tous les pays, mais sur un nombre limité de produits. Seraient concernées des filières que la nouvelle administration entend rapatrier sur le territoire américain – métaux utilisés dans l’industrie de la défense, fournitures médicales, batteries… “Fake news !”, s’est empressé de répondre, sur le réseau Truth social, Donald Trump, qui ne veut surtout pas laisser dire qu’il revoit ses ambitions tarifaires à la baisse.Les innombrables promesses de TrumpD’autant que le nouveau locataire de la Maison-Blanche aura besoin de ces dollars ponctionnés sur ses partenaires commerciaux pour présenter un budget à l’équilibre – un point sensible pour beaucoup de républicains de la Chambre des représentants. Son programme dispendieux exige de nouvelles recettes fiscales. Prolongations des baisses d’impôts sur les ménages – 5 000 milliards de dollars sur dix ans -, exonérations sur les heures supplémentaires, les pourboires, les retraites… Le candidat Trump s’est montré prodigue en promesses. “Appliquer 10 % de droits de douane à tous les partenaires des Etats-Unis ne rapporterait guère plus de 2 000 milliards sur dix ans. On est loin du compte”, pointe Florence Pisani, chef économiste de Candriam. Elon Musk comblera-t-il la différence en sabrant dans les dépenses de l’Etat ? Rien n’est moins sûr. “Sur 6 000 milliards de dépenses fédérales, Musk veut en couper 2 000. Il n’y arrivera pas”, poursuit l’experte, qui chiffre les grandes masses incompressibles : 1 000 milliards de paiements d’intérêt de la dette, 3 000 milliards pour les retraites et les programmes de santé. Reste 1 000 milliards pour la défense et autant en dépenses de fonctionnement, sur lesquelles on peut escompter quelque 200 milliards d’économies, guère plus.Dans ces conditions, difficile de donner de la crédibilité au programme “3-3-3” présenté par Bessent : 3 % de croissance du PIB, 3 % de déficit budgétaire en fin de mandat – la moitié du niveau actuel -, et une production supplémentaire de 3 millions de barils de pétrole par jour. Simple et efficace, le slogan a séduit le milliardaire de Palm Beach, adepte des phrases chocs. “L’objectif de croissance est raisonnable vu la conjoncture actuelle et certaines des mesures annoncées. Celui de la réduction du déficit, moins. D’autant que, d’une certaine façon, ces deux ambitions sont contradictoires”, note Stephen Myrow.La Fed dans le rôle d’arbitreAu-delà des intentions de Bessent, la mécanique institutionnelle n’est pas non plus de nature à rassurer. “En matière de droits de douane, Donald Trump a le pouvoir de décider seul. Il peut même aller assez loin sans passer par le Congrès, comme il l’avait fait lors de son premier mandat en invoquant la sécurité nationale”, rappelle Florence Pisani. Faute de visibilité, cette spécialiste des Etats-Unis envisage aujourd’hui deux avenirs pour l’économie américaine. “Dans un scénario modéré, où les droits de douane sont relevés sans excès, où l’immigration illégale est stoppée, mais sans expulsions, et avec un peu de stimulation de la consommation des classes moyennes par certaines exonérations fiscales, la croissance, sans aller jusqu’à 3 %, peut se maintenir au-dessus de 2 %. En revanche, s’il va très loin dans la guerre commerciale et qu’il renvoie une partie des migrants déjà présents sur le sol américain, provoquant des tensions sur le marché du travail, cela alimenterait l’inflation”. Hypothèse qui pousserait la Réserve fédérale à augmenter ses taux d’intérêt, faisant basculer l’économie américaine en récession.La Fed conservera-t-elle assez d’indépendance pour prendre les décisions qui s’imposent afin de remplir sa mission : lutter contre la hausse des prix ? En principe, la question ne se posera pas avant mai 2026, date de la fin du mandat de Jerome Powell, le président de l’institution, confirmé à ce poste sous Joe Biden. A moins que l’idée soufflée par Scott Bessent ne fasse son chemin. “Il a suggéré d’affaiblir Powell en dévoilant dès les premiers jours de l’administration Trump le nom de son remplaçant, explique Raphaël Gallardo, consterné par la manœuvre. Son raisonnement est que les marchés financiers anticiperont immédiatement, et avec une quasi-certitude, un assouplissement de la politique monétaire dès la fin de ce mandat”.Un moyen de faire baisser le dollar pour favoriser les exportations, l’autre marotte de Donald Trump. “Sa majorité à la Chambre des représentants est ténue. S’il ne veut pas la perdre lors des élections de mi-mandat l’automne prochain, il doit rapidement tenir certaines promesses”, complète le chef économiste de Carmignac. Pour Florence Pisani, l’hypothèse d’une perte d’indépendance de la Fed est à relativiser : “la nomination du président doit être approuvée par les sénateurs, qui ne donneront pas leur blanc-seing à n’importe qui. Et la politique monétaire est une décision collégiale de douze votants, elle n’appartient pas au seul président de la Réserve fédérale”.Si en matière économique, le secrétaire au Trésor semble prêt à jouer le jeu de Trump, c’est sur le terrain sociétal que sa position pourrait vite devenir intenable. Bessent est homosexuel, marié et père de deux enfants. “Je pense que si un membre de l’administration doit sauter en premier, ce sera lui, parie Romuald Sciora, de l’Iris. Il est difficile de l’imaginer dans la durée, au sein d’une administration, soutenue par les mouvements évangéliques les plus conservateurs, qui souhaite interdire le mariage gay au niveau fédéral !”. Jusqu’où ira la flexibilité de Scott Bessent ?
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Author : Muriel Breiman
Publish date : 2025-01-10 04:45:00
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