“La culpabilité est une maladie dont on ne guérit pas.” Depuis ce 7 janvier 2023, date à laquelle son fils Lucas, 13 ans, a choisi de mettre fin à ses jours au domicile familial de Golbey, une petite commune des Vosges, Séverine Vermard se dit condamnée à un “chagrin à perpétuité”. Une douleur qu’elle décrit dans l’ouvrage Lucas. Symbole malgré lui (HarperCollins) qui paraît ce 8 janvier. Il y a deux ans, le suicide de cet adolescent d’un naturel “créatif, aventureux, aimant” a mis en lumière le fléau du harcèlement scolaire – devenu un délit en 2022 – et suscité l’émoi jusqu’au sommet de l’Etat. “Quand un enfant met fin à ses jours, il n’y a pas de mots pour dire le chagrin, la douleur”, avait déclaré au Sénat le ministre de l’Education nationale de l’époque Pap Ndiaye.Le 18 décembre dernier, près de deux ans après les faits, l’enquête de l’Education nationale a conclu que Lucas a bien été victime de harcèlement, “aussi bien dans l’établissement scolaire que sur les réseaux sociaux”. L’institution n’a en revanche pas commenté la dimension homophobe du harcèlement dénoncée par ses proches. Sur le terrain judiciaire, l’affaire suit son cours. Quatre adolescents – deux garçons et deux filles – du collège ont été condamnés en première instance pour harcèlement scolaire, sans que le lien entre le harcèlement et le suicide de Lucas ne soit toutefois établi. Avant d’être relaxés en appel (les juges avaient cependant relevé le caractère “odieux” de propos qui avaient été tenus par les prévenus). Le parquet ainsi que la famille de Lucas ont décidé de se pourvoir en cassation.Sa mère, elle, ne lâchera rien “tant que justice ne sera pas rendue à Lucas”, nous confie celle qui a depuis fondé Lunah, une association qui intervient notamment en milieu scolaire pour sensibiliser sur le harcèlement. Dans son livre, Séverine Vermard, également maman de la petite Anna et de Damien, l’aîné de la fratrie, ne se contente pas de partager ce drame personnel et son combat contre l’inertie des institutions. Elle nous raconte aussi ses souvenirs des jours heureux, ceux des moments passés auprès de Lucas, qu’elle refuse de voir “réduit au seul statut de victime”. C’est le magnifique récit d’une histoire d’amour entre une mère et ce fils dont elle avait compris très tôt qu’il était différent des autres garçons de son âge. Un enfant certes différent mais bien dans ses baskets, jusqu’à ce que cette pluie incessante d’insultes ne s’abatte sur ses jeunes épaules. Un acharnement qu’on n’a pas pris au sérieux – comme il aurait fallu, malgré les alertes : “J’en veux aux parents et au collège car il y a eu de nombreux ratés.” “L’argument qui consiste à assimiler l’insulte à une simple moquerie ne doit plus faire loi”, estime aujourd’hui Séverine Vermard, déterminée à poursuivre le combat pour que “plus aucun enfant ne souffre dans le silence”.L’Express : En lisant votre livre, on se dit qu’un parent est bien impuissant ou démuni face au mal-être de son enfant victime de harcèlement. “Comment protéger son enfant sans devenir intrusif ?” demandez-vous. Aujourd’hui, avez-vous trouvé la réponse à cette question ?Séverine Vermard : Non. Je me pose toujours la question de savoir comment j’aurais pu l’aider sans qu’il ne se sente oppressé ou “fliqué”. Mais c’était une situation complexe car dans ces moments-là, sans le soutien de l’institution et face à la perte de confiance de son propre enfant, on ressent une profonde impuissance. Je ne savais plus quoi faire. Avec le recul, je pense que j’aurais peut-être dû solliciter davantage d’aide, notamment auprès de la psychologue du collège ou de mon médecin traitant. Et ne surtout rien lâcher. Par exemple, demander une convocation des parents des enfants impliqués. Autant de choses qu’on ne m’a pas suggéré à l’époque et que j’aurais aimé qu’on mette en place.Vous évoquez “la lente métamorphose” de Lucas, consécutive au harcèlement dont il a fait l’objet. Mais ce qui frappe quand on vous lit, c’est que ses résultats scolaires ne s’en ressentaient pas, ni son degré de sociabilité à l’extérieur de la maison. En revanche, c’est au domicile que les changements d’humeur étaient les plus visibles…Je crois qu’avec toute la colère que Lucas accumulait à l’extérieur, la maison devenait son défouloir. Il était dans son petit cocon, entouré des personnes en qui il avait le plus confiance, qui l’acceptaient pour la personne qu’il était. Il savait très bien que nous ne l’aurions jamais rejeté quoi qu’il ait fait. Mais ça n’en était pas moins difficile. Par moments, nous pensions qu’il traversait une crise d’adolescence parce qu’il était dans l’âge. Il répondait, s’isolait dans sa chambre, ne voulait pas ranger ses affaires. Il voulait qu’on le laisse tranquille. Tous les signes typiques de la crise d’adolescence. Je me rends compte aujourd’hui qu’il exprimait simplement son mal-être. Et je n’ai pas su le voir. Le seul signe qui aurait dû me mettre la puce à l’oreille était qu’il se montrait plus joyeux pendant les vacances. Donc quand il était loin de l’école. C’est là qu’il redevenait vraiment lui-même. Mais dès que l’école reprenait, il se mettait à nouveau à nous répondre de manière insolente par exemple. Ce mal-être, Lucas le dissimulait parfaitement. Il s’inscrivait à toutes les activités possibles. Il était très entouré par ses camarades. J’étais à mille lieues de m’imaginer ce qui allait se produire par la suite…Lorsque vous avez appris qu’il se faisait harceler par certains de ses camarades, vous êtes intervenue auprès du collège. Mais Lucas redoutait d’éventuelles représailles.Oui. Il avait peur que les choses empirent. J’ai tenté de le rassurer au maximum en lui assurant que je mettrais un terme à tout cela. Mais je pense qu’il avait encore une appréhension, et quand il a vu que les choses ne bougeaient pas au niveau du collège, il s’est probablement dit : “Je ne dirai plus rien à maman parce qu’elle a déjà fait tout ce qu’elle pouvait faire et rien n’a changé.”Qui prévenir en premier en tant que parent d’une enfant victime de harcèlement ? La direction de l’école, l’enseignant, le professeur principal, les parents ?Tout dépend des situations, mais en premier lieu, si l’enfant manifeste un mal-être évident, je recommande de le faire constater par son médecin traitant. Cela peut aider l’établissement scolaire à réagir plus vite. Ce constat d’un médecin vous donne plus de crédibilité et peut contribuer à être mieux écouté. En parallèle, il est important de prévenir directement le chef d’établissement et l’équipe pédagogique. Sollicitez des rendez-vous et une confrontation avec les élèves impliqués, sans chercher à les pointer du doigt ou à les incriminer. Ce sont des enfants et n’importe qui peut évoluer. C’est toujours une situation délicate mais il faut vraiment privilégier le dialogue.Vous racontez ne pas avoir été prise au sérieux par le collège de Lucas lorsque vous avez commencé à tirer la sonnette d’alarme. “La CPE m’a répondu que j’exagérais et qu’il ne s’agissait que de simples chamailleries”, écrivez-vous. Vous racontez pourtant que cela faisait des semaines que vous l’alertiez…Oui. Ce n’est pas forcément aux enfants que j’en veux. Ni au professeur principal de Lucas, qui a effectué son travail en envoyant un mail à toute l’équipe pédagogique. J’en veux en revanche aux parents et à la direction du collège qui était en place à l’époque. Il y a eu de nombreux ratés. J’ai alerté les responsables de l’établissement à plusieurs reprises. Comme je le raconte dans le livre, quelle n’a pas été ma surprise d’apprendre lors de l’audience de première instance que seul 1 couple de parents sur 4 avait été prévenu par le collège de ce qui était reproché à son enfant. Les trois autres n’avaient jamais été mis au courant ! Je n’oublierai pas non plus le jour où j’ai prévenu le collège du décès de Lucas dès le lundi. Lorsque je leur ai reproché de n’avoir pas agi, on m’a même répondu que j’étais une menteuse et que je ne les avais jamais prévenus. Sauf le professeur principal qui lui était très peiné. Tant que justice ne sera pas rendue à Lucas, ma colère vis-à-vis des parents et du collège ne retombera pas.Vous racontez qu’aux yeux de certains éducateurs, le terme “pédé” n’était pas nécessairement une insulte. La lutte contre le harcèlement scolaire ne passe-t-elle pas par une meilleure compréhension de l’homophobie ?Oui. Ils m’ont expliqué que traiter un camarade de “pédé” faisait partie du langage courant, comme s’il s’agissait de quelque chose d’anodin. Eh bien non, ce n’est pas normal. Le respect commence dès le bonjour. Imagine-t-on qu’un enfant puisse saluer ses parents en disant “salut pédé” ? Je ne crois pas… Il est donc crucial de leur inculquer la politesse et le respect de l’autre. Si on cautionne pareilles insultes sous prétexte qu’elles paraissent anodines, on finit par devenir complices de tels agissements.Chacun a sa définition du harcèlement, mais elle n’est pas forcément correcteEvidemment, le harcèlement peut commencer très tôt, dès la primaire. Par exemple, à la demande d’une maman, nous sommes venus en aide avec mon association auprès d’une petite fille qui se faisait harceler parce qu’elle était métisse et un peu forte. Elle se faisait constamment traiter de singe notamment. Elle en pleurait. Lors de notre intervention, les enfants ont reconnu d’eux-mêmes les faits et se sont excusés. Maintenant ils sont tous copains. Pourtant, la mère avait déjà alerté la direction de l’école, qui lui avait répondu qu’il s’agissait de simples chamailleries. Il est important de rappeler que le harcèlement commence dès lors qu’un comportement est répété par un ou plusieurs élèves et qu’il blesse la personne visée, que ce soit physiquement ou moralement. Même si ces actes ne se produisent pas tous les jours.Un article du Monde publié en novembre dernier soulignait : “Sur le terrain, les personnels chargés de la violence scolaire – en particulier les conseillers principaux d’éducation (CPE) – regrettent que le terme soit utilisé par les familles pour décrire des situations de mal-être qui n’en relèvent pas, ce qui complique leur travail de remédiation […]”. Certains CPE interrogés qualifiant alors le harcèlement de mot “à la mode”. Y a-t-il un travail de définition du harcèlement à faire auprès des enseignants et des élèves eux-mêmes ?Tout à fait. Il arrive que des personnes de mon entourage sollicitent mon aide en me confiant que leur enfant est victime de harcèlement. Je leur demande alors de me décrire la situation, les circonstances : y a-t-il eu répétition ? Un simple message insultant envoyé par texto ne constitue pas un cas de harcèlement. Bien souvent, cela relève d’un différend classique entre copains. Il est primordial de clarifier ce qu’est réellement le harcèlement, sans quoi on prend le risque de banaliser ce qu’il est vraiment : un acte grave. Chacun a sa définition du harcèlement, mais elle n’est pas forcément correcte. Il est donc nécessaire de le redéfinir avec le personnel éducatif et les parents.Depuis trois ans, l’Education nationale semble s’être emparée à bras-le-corps de la problématique du harcèlement scolaire. Cela vous rassure-t-il ?Effectivement, il y a par exemple le programme pHARe [NDLR : un plan de prévention du harcèlement dans les écoles, les collèges et les lycées] mis en place en 2021 et progressivement généralisé à l’ensemble des établissements scolaires. Sur le papier, il est parfait. Mais ce programme souffre d’un manque de moyens. Il n’y a pas assez de personnel formé. De même qu’une Journée annuelle consacrée au harcèlement est loin d’être suffisante. Ce sujet devrait être abordé de manière plus fréquente.Ce n’est qu’à l’audience en appel, en octobre 2023, que vous avez appris que l’enquête administrative pourtant promise par l’ancien ministre de l’Education Pap Ndiaye neuf mois auparavant était restée lettre morte. Il aura fallu attendre un an avant qu’elle soit finalement lancée…Oui. Le jour où mon avocate m’a appris la nouvelle, j’étais hors de moi. Je me suis promis de ne rien lâcher tant que cette enquête ne serait pas ouverte, quoi qu’il en coûte. Rendez-vous compte : ma vie a été passée au crible par les avocats de la défense, celle de mes enfants aussi. Toute ma vie a été déballée en cour d’appel. J’ai eu l’impression d’être moi-même sur le banc des accusés. D’être la mauvaise mère. Il était donc hors de question que j’en reste là. Ainsi, lorsque l’ancien Premier ministre Gabriel Attal s’est rendu dans les Vosges en mars 2024 pour une visite au sein de l’agence France Travail, j’ai saisi l’occasion. Ayant appris sa venue seulement la veille, je me suis rendue sur place pour l’interpeller. J’étais déterminée. S’il avait fallu le poursuivre à travers tout le département, je l’aurais fait. Et finalement, il m’a reçue. Gabriel Attal et Nicole Belloubet, la ministre de l’Education de l’époque ont été très humains et compréhensifs face à ma détresse et au combat que je mène. Ils ont tenu parole.Il me semble que c’est parfois l’éducation des parents qui est à refaireLe 18 décembre dernier, l’enquête de l’Education nationale a conclu que Lucas a bien été victime de harcèlement, “aussi bien dans l’établissement scolaire que sur les réseaux sociaux”. Cependant, l’institution ne se prononce pas sur le potentiel lien entre ce harcèlement et son décès, estimant que cela revenait à la justice. Laquelle pour l’instant n’a pas retenu l’existence d’un lien de causalité. Pourtant, Lucas avait mentionné dans son cahier de français son envie d’en finir, écrivez-vous.Le fait que le harcèlement ait été reconnu constitue déjà une immense victoire. Quant au lien de causalité, nous savions très bien dès le début qu’il ne serait probablement jamais pris en compte. Il n’y a aucun écrit explicite ni aucun enregistrement sonore ou vidéo laissé par Lucas, si ce n’est un extrait TikTok et cette allusion dans son cahier de français que vous mentionnez et dans lequel il avait notamment écrit : “A quoi bon l’existence, si on ne peut pas la vivre.”Lors du premier procès et en appel, les parents ont-ils tenté d’entrer en contact avec vous ?Aucune excuse, ni de la part des parents ni de leurs enfants, sous quelque forme que ce soit. J’aurais aimé qu’ils prennent conscience du fait qu’une simple parole peut tuer et que les parents se remettent en question. Or, lors du procès en appel, j’ai même été verbalement agressée par l’un des parents d’une des prévenues, qui m’a accusé d’avoir détruit la vie de sa fille en portant plainte. Alors que je n’ai même pas porté plainte. J’étais tellement mal qu’il m’a fallu quitter la salle d’audience. Ce qui rend la situation encore plus difficile, c’est de voir ces gamins rire alors que mon fils n’est plus là. Mon avocate ou moi-même, nous attendions ne serait-ce qu’un simple “désolé”. Il n’en a rien été. Ils sont partis en courant et en rigolant. Et lorsque la juge s’est tournée vers l’un des prévenus pour lui demander si le fait d’avoir vu la chaise vide de Lucas dans la classe le lundi ayant suivi sa mort ne l’avait pas un peu chamboulé, l’adolescent a haussé les épaules. Il a répondu qu’il s’était contenté de s’asseoir sur la chaise vide…La lutte contre le harcèlement est devenue votre cheval de bataille. Quel message aimeriez-vous adresser au monde enseignant ainsi qu’aux parents pour éveiller les consciences face à ce fléau ?Soyez attentifs et à l’écoute auditive et visuelle de vos enfants. Croyez-les quand ils vous parlent. Prêtez attention au moindre signe, qu’il s’agisse d’un changement d’humeur, d’attitude ou de look. Même si vous avez seulement des doutes, demandez un rendez-vous avec l’enseignant ou la personne de l’établissement en qui ils ont confiance. Et cessons de confondre harcèlement et chamailleries, que ce soit dans un sens comme dans l’autre. Tout peut aller tellement vite, une semaine de harcèlement peut être la semaine de trop. En 2025, il faut encore faire évoluer les mentalités et enfin accepter la différence et les autres tels qu’ils sont. Quand j’entends encore certaines insultes prononcées par des adultes, il me semble que c’est parfois l’éducation des parents qui est à refaire.
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Author : Laurent Berbon
Publish date : 2025-01-08 06:45:00
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