Les gouvernements changent, mais les mauvaises habitudes perdurent. Le 18 février 2024, Bruno Le Maire, alors ministre de l’Economie, se présentait au 20 heures de TF1 pour annoncer une forte révision à la baisse des prévisions de croissance de la France pour l’année en cours, passant de 1,4 % à 1 %. Près d’un an plus tard, le nouveau patron de Bercy, Eric Lombard, s’apprête à faire de même, selon des informations de L’Opinion. Les services du Trésor tableraient désormais sur 0,8 % en 2025, contre 1,1 % précédemment.A vrai dire, cette projection est désormais plus en accord avec celles des différents instituts, qu’ils soient privés ou publics. La Banque de France anticipe une hausse du PIB de 0,9 %, tandis que l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) misait sur 0,8 % juste avant l’examen du projet de loi de finances Barnier, en octobre. C’est plutôt le moment choisi pour une telle révision qui interroge. “Je ne sais pas très bien comment ils arrivent à faire une prévision aussi précise sans savoir s’il y aura un budget et ce qu’il y aura dedans”, s’étonne l’économiste Adrien Auclert, coauteur, en juillet dernier, avec Xavier Ragot et Thomas Philippon, d’une note pour la Conseil d’analyse économique sur le redressement des finances publiques françaises. “Faire une prévision sans budget, c’est presque comme prévoir la météo sans modèle”, abonde Mathieu Plane, directeur adjoint du département analyse et prévision de l’OFCE.L’objectif de 5 % de déficit hors d’atteinteReste qu’une croissance plus faible signifie que les recettes fiscales seront moins importantes pour l’Etat. Une bien mauvaise nouvelle, alors que le déficit public devrait dépasser les 6 % de PIB au terme de l’année écoulée, loin, très loin des 4,4 % visés dans le projet de loi de finances pour 2024. Sans oublier qu’au printemps dernier, Bruno Le Maire avait déjà réévalué cet objectif à 5,1 %. “Les calculs typiques habituellement faits sont les suivants : un point de croissance en moins, cela correspond à 0,6 point de déficit public en plus. Si la prévision de croissance passe de 1,1 % à 0,8 %, cela entraînerait ainsi 0,2 point en plus sur le déficit public”, détaille Adrien Auclert. Un nouvel écart que nos finances publiques ne peuvent pas se permettre.L’objectif de 5 % qui avait été fixé par Michel Barnier apparaît clairement hors de portée. “C’est irréaliste. Même 0,8 % de croissance semble assez optimiste à moins d’une espèce de miracle économique”, poursuit ce professeur à Stanford. Pour Mathieu Plane, la question est surtout de savoir si l’on parviendra à repasser sous la barre des 6 %. “Si on arrive à se rapprocher de 5,5 %, ce serait déjà très bien”, estime-t-il. D’après le journal Le Monde, l’objectif serait plutôt de 5,4 %.La France n’a plus les cartes en mainD’autant que la France n’est pas seule maîtresse de son destin. “L’Allemagne, notre principal partenaire commercial, est en pleine crise industrielle et traverse également une période d’incertitude politique. Du côté des Etats-Unis plane cette interrogation quant à l’application du programme de Donald Trump. Au vu de ses dernières déclarations, le président élu semble vouloir maintenir son objectif d’augmenter les tarifs douaniers pour les produits en provenance de l’étranger”, liste Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of management.Sans compter un calendrier très serré. François Bayrou a promis un budget à la mi-février. Une nouvelle mouture qui risque d’être dénaturée par rapport à la précédente. Les 60 milliards d’efforts budgétaires qu’avait mis sur la table Michel Barnier devraient voler en éclats. “On voit mal le nouveau Premier ministre arriver à faire voter un budget qui aurait l’ambition du projet Barnier. Il va falloir donner des gages à tout le monde, à gauche comme à droite. Et les choses risquent de s’aggraver si l’on doit concéder un certain retour sur la réforme des retraites”, prévient Eric Dor.L’économie française ne peut plus attendrePlus le temps passe, plus l’économie française pâtit de cette indécision budgétaire. “Tout le monde navigue un peu à vue. Nous n’avons aucune idée précise de ce que va être la politique fiscale”, souligne Adrien Auclert. Avec des conséquences concrètes. “Les entreprises ne savent pas à quelle sauce elles vont être mangées, ce qui les pousse à l’attentisme en termes d’investissement. De plus, les ménages français ont en mémoire ce qu’ont vécu les pays européens au moment de la crise de la dette souveraine. Ces inquiétudes se transforment en épargne”, assure Eric Dor. En attendant, c’est la loi spéciale qui s’applique. “Si on devait s’en contenter toute l’année, le déficit budgétaire dépasserait les 6 %. Cela nous mettrait complètement en porte à faux vis-à-vis de la Commission européenne”, rappelle Eric Dor, alors même que la France a déjà été placée en procédure de déficit excessif.Même si François Bayrou parvenait à arracher un vote du budget à l’Assemblée nationale sans être censuré, le risque d’une nouvelle dissolution à partir du 8 juillet ne peut être écarté. “Rien ne garantit que la situation serait plus facilement gérable à la suite de nouvelles élections, estime toutefois Eric Dor. La composition du Parlement ne fait que refléter la fragmentation de l’opinion publique. Tous les pays européens y sont confrontés. La grande différence entre la France et ses voisins est qu’elle n’a pas l’habitude de ces situations. Le personnel politique n’est donc pas entraîné à négocier des coalitions.” Et à la rentrée prochaine, rebelote… le casse-tête du vote du budget se reposera.
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Author : Thibault Marotte
Publish date : 2025-01-03 16:14:00
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