Un écran, des marionnettes, un manipulateur-acteur : c’est le b.a.-ba du théâtre d’ombres. Celui qui a pour nom wayang kulit est, bien plus qu’un simple divertissement, une véritable performance qui adapte son répertoire au calendrier rituel et agraire ou aux célébrations familiales. Il trimballe son lot de figures légendaires, auxquelles, aujourd’hui encore, nombre de Javanais et de Balinais s’identifient. C’est que derrière ces épopées marionnettistes, aux intrigues millénaires et à la mise en scène spectaculaire, se cache une philosophie intemporelle. “Au-delà de l’histoire qui vous emporte, on peut y déceler tous les tiraillements inhérents à la nature humaine, nos personnages intérieurs, avec lesquels nous bataillons quotidiennement”, souligne Constance de Monbrison, commissaire, au côté de Julien Rousseau, de la petite exposition visuelle et pédagogique présentée dans l’espace de l’Atelier Martine Aublet au musée du Quai Branly.On retrouve les premières traces écrites du wayang kulit dans la littérature javanaise du XIe siècle. Sur l’île de Java, cet art de cour retrace alors les grands combats mythiques issus des épopées indiennes du Mahâbhârata, qui met en scène deux dynasties princières rivales, les Kaurawa et les Pandawa, et du Râmâyana, qui compte parmi ses protagonistes phares le célèbre singe Hanoman. Peu à peu, la pratique, qui voit la représentation commencer à la tombée de la nuit et s’achever au lever du jour, s’étend à toutes les couches de la société pour devenir ultra-populaire. Elle doit son nom, wayang (peau) kulit (cuir) à la matière avec laquelle sont conçus les protagonistes à tige.”Rangda et les sorcières”, Indonésie, Petites îles de la Sonde, Bali, Ubud, première moitié du XXe siècle.Le dispositif scénique répond, quant à lui, à des règles immuables. Respecté pour ses talents multiples, le dalang, à la fois marionnettiste, conteur, chanteur et chef d’orchestre, manipule les figures à l’arrière d’un écran éclairé, interprète chaque rôle tout en dirigeant le gamelan – l’ensemble instrumental traditionnel de percussions du théâtre d’ombres. Si, de nos jours, la performance se regarde majoritairement du côté du dalang pour mieux en appréhender la virtuosité, jadis seuls les hommes avaient ce privilège ; les femmes et les enfants étaient, quant à eux, cantonnés devant l’écran face aux ombres. Ce qui n’a pas bougé, c’est le conflit émotionnel qui les oppose. D’un côté, les sages, traditionnellement placés à la droite du dalang, qui ont acquis le détachement ; de l’autre, à la gauche du manipulateur, les incontrôlables, incapables de maîtriser leurs pulsions. Une bataille en trois ou quatre actes, riches en rebondissements, qui s’achève sur la seule voie possible : la méditation.Sur l’archipel indonésien, la tradition du wagang kulit continue de se perpétuer. Des dalang nouvelle génération renouvellent le genre, à l’instar de l’artiste Heri Dono, qui a créé un théâtre d’ombres découpées dans du carton, avec lesquelles il transpose les discordes d’antan dans une mythologie contemporaine. En plus d’être inventif, le créateur a de l’humour, les Indonésiens en raffolent. Arrière-petite fille de la première femme dalang au palais de Surakarta, Ni Woro Mustiko Siwi, quant à elle, joue les marionnettistes 2.0 avec une adaptation numérique de la pratique qu’elle diffuse vers les smartphones. De quoi porter loin la bonne parole des mythes.Wayang Kulit, au musée du Quai Branly-Jacques Chirac, à Paris, jusqu’au 23 mars 2025.
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Author : Letizia Dannery
Publish date : 2024-12-28 10:00:00
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