Lundi matin, 10 heures Marine Le Pen est sur le parvis de Matignon, flanquée de Jordan Bardella. C’est elle que François Bayrou a choisi de recevoir en premier dans le cadre de ses consultations pour former un nouveau gouvernement. La discussion avec le nouveau Premier ministre a duré plus d’une heure et elle ne semble pas mécontente du contenu des échanges. La cheffe de file du parti d’extrême droite estime avoir été “écoutée” et ressort avec la certitude que les élus du Rassemblement national seront “traités comme les autres”. Un terrain d’entente, la mise en place de la proportionnelle, a même été envisagé -le sujet avait déjà été évoqué au cours d’un entretien téléphonique entre la dirigeante d’extrême droite et François Bayrou comme l’a révélé L’Express. Et si Marine Le Pen assure attendre désormais “des actes”, elle semble satisfaite du traitement qui lui a été réservé et entend même renouveler l’expérience.Mais alors, qui était donc cette femme, ce dimanche à Etrépagny (Eure), montée sur scène pour s’en prendre à ce “système politique qui feint le désaccord alors qu’il unit chaque jour ses forces contre les intérêts des Français” ? Moins de 24 heures avant de se rendre à Matignon, lors d’un meeting de son parti, Marine Le Pen vilipendait encore “ce parti unique, qui était déjà une entente électorale contre nature (…), poussé au bout de sa logique, en construisant une méprisable coalition des contraires, prête à tout pour s’attribuer des postes ministériels.”Adoubée par le système qu’elle prétend combattreCôté pile, donc, les canaux de communication sont ouverts avec François Bayrou, des pistes de consensus évoquées, des possibilités d’apaisement esquissées. Côté face, le RN continue son recours à l’argumentaire populiste, se posant comme l’alternative unique face à une classe politique rassemblée en un seul parti hypocrite et avide de pouvoir. Qu’importent les rencontres, les coups politiques, l’introduction de Marine Le Pen dans ce système qu’elle décrie tant, le pluralisme politique serait une chimère, et le RN, seul s’opposerait à ce système. Ce double jeu du RN n’est pas nouveau. Il est seulement un peu plus visible, et l’exercice d’équilibriste un peu plus complexe à mesure que le parti lepéniste est adoubé par ce système qu’il prétend combattre.Marine Le Pen, elle-même, n’a-t-elle pas été officiellement citée dans un communiqué de Michel Barnier ? Propulsée, ainsi, au rang de l’opposition respectable. Jordan Bardella, aussi, ne s’est-il pas fait tresser des louanges par l’entourage du président de la République, après les rencontres de Saint-Denis ? Au Palais Bourbon, les lepénistes n’avaient-ils pas obtenu des postes de vice-président, réussi à faire voter certains de leurs amendements par les autres groupes, participé à des négociations ? “Personne ne peut plus croire que le RN ne fait pas partie du système, ils en sont la principale composante”, s’amuse un observateur de l’Assemblée.Des électeurs mécontentsDepuis 2022, notamment avec l’arrivée d’un groupe de députés RN d’ampleur, Marine Le Pen n’a-t-elle pas confirmé son intronisation dans le système ? La percée est visible, aussi, au sein de classes sociales jadis hostiles au parti lepéniste. Des cercles de pouvoir côtés, désormais, lui ouvrent leurs portes, des associations, des notables locaux, des représentants des milieux économiques, aussi. Un parti peut-il toujours se revendiquer antisystème lorsqu’une de ses députées prononce le discours de passation du gouverneur du Lions Club de Menton ? Ou que son président est reçu à déjeuner par la Grande loge nationale de France ?Certains électeurs, en tout cas, ont émis quelques réserves. Avant que le RN ne joigne ses voix à celles de la gauche pour censurer le gouvernement Barnier, plusieurs députés avaient croisé quelques mécontents. “Ils se demandent pourquoi on ne censure pas ce gouvernement, ce qu’on attend pour monter qu’on est vraiment des opposants”, confiait l’un d’eux à l’époque. D’autres signaux faibles ont pu alerter le parti. La semaine dernière, par exemple, lorsque des agriculteurs mécontents ont muré les locaux de la députée Hélène Laporte. Ou que d’autres ont déversé du fumier devant la permanence de Caroline Colombier, en Charente. “Ne comptez plus sur moi pour vous défendre !”, a fulminé la frontiste, outrée d’être traitée comme les autres.Radicaliser sa base pour mieux s’élargirQu’importe. Ces éléments ne traversent pas le mur du son. Les sondages continuent d’être porteurs pour le RN et Marine Le Pen, depuis l’Eure, peut continuer de se poser en représentante du “parti de la confiance et de la vérité”, dénonçant le faux pour s’arroger le vrai. Car de l’instabilité politique, le parti d’extrême droite a tiré une certitude, livrée par un proche de Marine Le Pen : “Cette période acte le crépuscule du macronisme, donc le paysage politique redevient celui qu’il était en 2014-2015, d’où l’intérêt de renouer avec un discours populiste.” Le pari est donc simple : continuer de radicaliser sa base tout en œuvrant discrètement pour conquérir un nouvel électorat. Sans exclure, bien sûr, quelques rencontres avec le nouveau Premier ministre.
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Author : Marylou Magal
Publish date : 2024-12-16 15:35:14
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