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L’Express

“Démissionner ? Son ego est trop grand…” : Emmanuel Macron vu par le chroniqueur Gavin Mortimer

Le président de la République, Emmanuel Macron, le 11 décembre 2024 à l'Elysée.




Que dit un Anglais lorsqu’on lui annonce qu’Emmanuel Macron s’apprête à nommer le quatrième Premier ministre de son second mandat – et le sixième depuis son entrée en fonction ? Il rit. C’est en tout cas la situation décrite par Gavin Mortimer, écrivain britannique qui chronique régulièrement la vie politique de la France – où il vit – pour le magazine conservateur The Spectator. Après la censure du gouvernement, votée conjointement par les députés du Rassemblement national et du Nouveau Front populaire, le Britannique pointe la faillite de Michel Barnier à se placer en “négociateur” face à Emmanuel Macron, mais surtout la responsabilité de ce dernier, qui “sombre dans le registre du pain et des jeux” et se trouve “réduit à tenter de duper les Français en leur laissant croire qu’il suffirait d’être fiers pour faire l’unité d’une nation”.Démissionner ? “Son ego est trop grand. Il tiendra contre vents et marées pour aller jusqu’en 2027, à moins que la situation ne devienne vraiment trop chaotique” – il cite l’inquiétude que suscite l’accord sur le Mercosur chez les agriculteurs français, mais aussi l’éventualité d’une “éruption spontanée de colère” de la part d’électeurs du RN, semblable à la crise des gilets jaunes. Et puis démissionner, dans quel but à l’heure où, selon lui, “la France se fait marcher sur les pieds par l’Union européenne” ? “La France doit rester dans l’UE, mais il est urgent qu’elle se détache des traités qui rendent sa souveraineté impossible”, juge-t-il.Pour l’heure, Gavin Mortimer se montre peu optimiste sur une possible embellie de la situation politique avant que de “nouvelles élections législatives soient organisées”. Pour cause, outre Emmanuel Macron, l’écrivain n’épargne (vraiment) personne. Ni l’Assemblée nationale, “qui semble bien incapable de faire des compromis et de penser à l’intérêt général, malgré une situation économique désastreuse et une image diplomatique en décrépitude”. Ni les Français, qui “ont manqué des occasions d’accepter des réformes certes difficiles mais nécessaires”. Entretien.L’Express : Comment qualifieriez-vous la crise politique actuelle ?Gavin Mortimer : De crise de régime, ni plus ni moins. Ce à quoi nous assistons, à bien des égards, ressemble fortement à la situation que la France a connue sous la IVe République. Tout était si volatil, explosif, les institutions parlementaires et le personnel politique semblaient bien incapables de réagir dans l’intérêt du plus grand nombre. Cela fait évidemment penser à la situation actuelle. Mais au-delà du diagnostic, l’heure est à la prise de recul : comment en sommes-nous arrivés là ? Je ne reviens pas sur la dissolution, l’allumette qui a tout déclenché, dont Emmanuel Macron a été le seul maître d’œuvre. Je ne m’attarderai pas non plus sur le déni de démocratie dont il s’est ensuite rendu coupable car, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire dans vos colonnes, c’était au Nouveau Front populaire – majoritaire en nombre de sièges – de gouverner. Tout ceci a compté, mais avec l’arrivée de Michel Barnier, on était en droit d’attendre une clarification. Rappelez-vous son arrivée à Matignon, lorsqu’il avait pour ainsi dire humilié Gabriel Attal en promettant “rupture” et “changement”.Michel Barnier est un homme certes respectable, profondément démocrate, et aimant son pays. Lui qui fut un bon négociateur lors du Brexit s’est pourtant révélé en être un très mauvais face à Emmanuel Macron. Ce qu’il a fait durant ces trois mois en poste n’est rien de plus que du macronisme classique – du “en même temps” si vous préférez. Dans un moment où les Français demandaient une clarification, que fallait-il comprendre d’une nomination de Bruno Retailleau à l’Intérieur et en parallèle, d’un Didier Migaud, du Parti socialiste, à la Justice ? Michel Barnier était en position de force après sa nomination “validée” par Marine Le Pen. Il aurait dû se placer en négociateur face à Emmanuel Macron. C’est ce que l’on attendait d’un Premier ministre dans un moment pareil.Encore faut-il savoir sur quoi négocier…Il y avait au moins un sujet sur lequel il aurait pu – et dû – agir : l’immigration et le contrôle des frontières. Quand un sujet déchaîne à ce point les passions, qu’il caracole en tête des préoccupations des Français, et que le parti qui s’en saisit le plus a recueilli plus de 11 millions de voix aux dernières élections, on le place en tête des priorités. Et sans attendre. Qui de mieux placé que celui qui, en 2021 [NDLR : Michel Barnier était alors candidat à la primaire de la droite], avait justement défendu la nécessité d’un moratoire pour geler l’immigration dans le pays pendant plusieurs années ? Il aurait fallu demander un référendum sur le sujet. Et que l’on ne me dise pas qu’il n’est resté que trois mois en poste ! C’est un peu facile : il avait à ses côtés Bruno Retailleau qui, quoi que l’on pense du personnage, est un homme de convictions qui l’aurait certainement épaulé sur ce sujet. Cela étant, je ne me fais pas d’illusions : un référendum sur l’immigration n’aurait pas été la solution miracle. Comme je l’ai dit, si Michel Barnier a raté sa chance d’apporter du changement, la politique menée par Emmanuel Macron est au cœur de la crise que traverse votre pays, à l’intérieur comme à l’extérieur…Votre président fait rire les BritanniquesA l’extérieur ?L’image diplomatique de la France a rarement été aussi abîmée qu’aujourd’hui. J’étais, il y a peu de temps, invité par un média britannique pour évoquer la situation de la France. Lorsque j’ai précisé qu’Emmanuel Macron s’apprêtait à nommer le quatrième Premier ministre de son mandat, et le sixième depuis le début de sa présidence, mes interlocuteurs ont ri. C’est un fait : votre président fait rire les Britanniques. Emmanuel Macron aurait qualifié Boris Johnson de clown lorsqu’il était Premier ministre – ce qu’il était – mais il ne vaut pas mieux. Au moins, les Britanniques se sont débarrassés de leur clown. Quant à la situation de la France, membre du G7, elle suscite la consternation. Si vous regardez dans le passé, par exemple lorsque Jacques Chirac et Dominique de Villepin avaient opposé un “non” catégorique à la guerre en Irak, cela avait évidemment énervé les Britanniques et les Américains. Mais l’agacement était teinté de respect. Parce que votre pays comptait encore des leaders qui avaient des convictions et des principes.Les alliés de la France, leurs partenaires et même leurs ennemis avaient donc de l’estime pour ses dirigeants. Or aujourd’hui, même vos ennemis ne vous respectent plus. Partout dans le monde, l’influence de la France n’a cessé de décroître sous la présidence d’Emmanuel Macron. Tout récemment, le Tchad et le Sénégal ont même rompu leurs liens militaires avec la France. Sans compter le chaos financier, la dette, que personne n’ignore et qui ne font qu’amoindrir un peu plus la crédibilité de votre pays. C’est le genre de situation qui devrait interpeller n’importe quel leader politique. Mais au lieu de cela, votre président sombre dans le registre du “pain et des jeux”.Comment cela ?Les Jeux olympiques ont été une merveilleuse parenthèse. La réouverture de la cathédrale de Notre-Dame ? Magnifique ! L’art du show français à son paroxysme ! Et Donald Trump au premier rang lors de la cérémonie d’ouverture ? Bravo – même s’il n’était pas là pour Emmanuel Macron mais pour lui-même. Mais après ? Est-ce que cela suffira à redresser un pays économiquement, restaurer son image diplomatique, contrôler ses frontières et la criminalité ? Evidemment que non. Et pourtant, Emmanuel Macron semble tout miser là-dessus depuis quelques mois. Il est terrible de voir un président en être réduit à tenter de duper les Français en leur laissant croire qu’il suffirait d’être fiers pour faire l’unité d’une nation. Bien sûr qu’ils peuvent être fiers, mais cela ne change rien au fait que la France est en plein chaos. Aujourd’hui, personne n’est dupe : Emmanuel Macron parle fort mais il est faible. Chaque jour de plus avec Emmanuel Macron au pouvoir abîme un peu plus la France.Certaines voix suggèrent que le président devrait démissionner…[Rires.] Vous avez peut-être vu passer cette séquence devenue virale depuis quelques jours : une intervention d’Emmanuel Macron qui, en 2019, avait expliqué qu’un président qui perd sa majorité parlementaire devrait démissionner. Nous y sommes. Mais il ne le fera pas, comme il l’a d’ailleurs fait savoir à plusieurs reprises récemment. Peu à peu, je rejoins l’historien Pierre Serna qui qualifie “l’extrême centre” – un concept qu’Emmanuel Macron lui-même a utilisé – de “poison français”. Même si je ne pense pas que ce “poison” soit uniquement français. “L’extrême centrisme” pourrait tout autant désigner la social-démocratie pratiquée par Angela Merkel qui, à mon avis, a été désastreuse pour l’Allemagne et pour l’Europe. Emmanuel Macron, comme Angela Merkel, semble avoir peu de convictions profondes.Son règne repose donc sur sa capacité à tenir bon. Et tant pis si, en France et en Allemagne, nous assistons à la montée de l’extrême gauche et de l’extrême droite, qui profitent du vide intellectuel créé par la vacuité de la politique centriste. Si je dis cela, c’est parce que dans ce contexte, les appels médiatiques de certains hommes politiques républicains à la démission d’Emmanuel Macron n’y changeront rien. La pression de l’Assemblée nationale non plus. Son ego est trop grand. Il tiendra contre vents et marées pour aller jusqu’en 2027, à moins que la situation ne devienne vraiment trop chaotique.Si la pression de l’Assemblée nationale et les appels médiatiques n’y pourront rien, qu’est-ce qui serait susceptible de changer la donne ?Le 31 mars, nous saurons si, oui ou non, Marine Le Pen sera rendue inéligible par la justice dans le cadre de l’affaire des assistants du RN. Si la réponse est oui, alors Emmanuel Macron pourrait avoir un gros problème. Car il fait peu de doutes que parmi les 11 millions d’électeurs qui ont voté pour le Rassemblement national, beaucoup vont percevoir cela comme une décision politique. Ligne de défense que le RN ne manquera d’ailleurs pas de tenir, notamment en rappelant que d’autres responsables politiques jugés pour des affaires au moins aussi graves n’ont pas reçu de peine d’inéligibilité. Voilà pour la ligne, maintenant ajoutez le contexte : c’est-à-dire le camouflet, que beaucoup d’électeurs n’ont pas digéré, des élections européennes, où le RN est arrivé en tête. Sans parler du fait que malgré un nombre de voix supérieur aux autres partis aux législatives, le RN n’a pas obtenu la majorité parlementaire en raison du front républicain, constitué à la hâte. Et ajoutons aussi la crispation que suscitent les multiples interventions de députés, de ministres qui, tout en promettant la main sur le cœur vouloir “respecter le processus démocratique et tous les électeurs”, disent vouloir travailler avec tout le monde “sauf le RN”.Je ne suis pas devin, mais on ne peut pas éluder l’éventualité que le ras-le-bol des électeurs du RN ne finisse par avoir une traduction concrète, avec une structure similaire à celle du mouvement des gilets jaunes de 2018, une éruption spontanée de colère et de désespoir à l’égard d’une élite qui, selon les citoyens, les méprise. Voilà un élément d’inquiétude, mais il n’y a pas que ça. L’accord sur le Mercosur, par exemple, inquiète énormément les agriculteurs français, déjà très remontés contre l’administration française. En Bourgogne, où je vis, tous ceux avec lesquels j’échange vivent la perspective de cet accord comme un deux poids, deux mesures, favorisant les agriculteurs argentins et brésiliens – qui ne sont pas soumis aux mêmes normes européennes. La colère couve…L’égoïsme est partout, mais le paradoxe en France, est que les gens attendent toujours de l’Etat qu’il s’occupe d’euxDans une chronique au Spectator, vous vous demandiez si une démission d’Emmanuel Macron ferait, au fond, une grande différence… Car selon vous, “les grandes décisions concernant la France ne sont plus prises à Paris, mais à Bruxelles”. N’est-ce pas exagéré ?Permettez-moi de préciser que je suis un fier Européen. Mais en l’état actuel des choses, la France – ainsi que d’autres pays – se fait marcher sur les pieds par l’UE. A l’exception de l’Allemagne qui, si je ne prends que l’exemple de l’accord du Mercosur, a tout à gagner car cela rapporterait plus de 200 millions de consommateurs sud-américains à ses constructeurs automobiles et à son industrie chimique. En France, bien que l’Elysée ait jugé cet accord “inacceptable en l’état”, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, s’est rendue il y a quelques jours en Uruguay pour faire avancer le dossier. En réalité, ça n’est pas la première humiliation infligée par l’UE à votre pays. Déjà, en septembre, Ursula von der Leyen avait poussé pour que la France destitue Thierry Breton de son poste de commissaire européen au profit de Stéphane Séjourné. Peut-on faire plus symptomatique de la perte d’influence de votre pays…Alors oui, je me demande si une démission d’Emmanuel Macron changerait quelque chose. Vous pouvez mettre Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen à sa place, François Bayrou ou Edouard Philippe, il n’est pas certain qu’ils puissent prendre les décisions difficiles que nous attendions de lui. Evidemment, certains diront qu’il vous faut sortir de l’Europe. Mais enfin, même Marine Le Pen a fini par comprendre que c’est inenvisageable. La France doit rester dans l’UE, mais il est urgent qu’elle se détache des traités qui rendent sa souveraineté impossible. J’irais même jusqu’à dire qu’au-delà de la France, si l’Europe veut survivre, elle devra laisser plus d’autonomie à tous les pays, pas seulement le vôtre. Sans cela, la colère qui monte en France depuis 2005, date à laquelle Jacques Chirac avait choisi d’ignorer qu’une majorité de Français s’était exprimée contre la ratification de la Constitution européenne, finira par contaminer les pays voisins. Si ça n’est pas déjà le cas.On pourrait vous répondre que lorsque notre personnel politique s’applique à prendre des décisions difficiles, ce sont parfois les Français qui freinent… Dans nos colonnes, l’économiste Pierre Bentata juge pour sa part qu’ayant refusé les réformes qui s’imposent, tous les partis sont responsables de la crise actuelle, au même titre que l’ensemble des citoyens français. Vous n’êtes pas d’accord ?Si. Sur le personnel politique, je vous répondrai que le poisson pourrit toujours par la tête. Une grande partie de la jeune génération de politiciens a pris exemple sur Emmanuel Macron. Je ne cherche pas d’excuses aux autres formations politiques, mais l’immaturité de vos députés emprunte à la politique menée par votre président depuis sept ans. De fait, dans une époque de grande confusion et basculements internationaux – je pense au Moyen-Orient notamment – les politiciens occidentaux n’ont jamais été aussi inadéquats au vu de l’enjeu. Quant aux citoyens, ils ont leur part de responsabilité. Plusieurs fois, les Français ont manqué des occasions d’accepter des réformes certes difficiles mais nécessaires.A commencer par la réforme des retraites ! La durée de vie moyenne augmente, les gens vont devoir travailler plus longtemps. Et pourtant, les Français s’entêtent. Pourquoi ? Je crois qu’après le Royaume-Uni, c’est au tour de votre pays de sombrer dans une crise de la paresse. Est-ce l’impact de la pandémie et l’habitude de télétravailler depuis chez soi ? Le fait de voir des influenceurs devenir riches en produisant des vidéos sur YouTube ? Je ne veux pas tomber dans la caricature, notamment d’une certaine jeunesse, mais combien de commerces recherchent aujourd’hui des serveurs ou des vendeurs. Au fond, la France, “s’anglosaxonise”. C’est-à-dire que comme chez nous, vous devenez de plus en plus individualistes mais aussi de plus en plus immatures. C’est ce que j’appelle l’infantilisation de l’Occident. La faute à Internet et aux smartphones qui ont contribué à créer ce monde artificiel et superficiel où ce qui compte, c’est “moi, moi, moi”. L’égoïsme est partout, mais le paradoxe en France, est que les gens attendent toujours de l’Etat qu’il s’occupe d’eux.On ose à peine vous demander comment notre pays pourrait sortir du chaos que vous décrivez…Résumons : vous avez une Assemblée nationale qui semble bien incapable de faire des compromis et de penser à l’intérêt général, malgré une situation économique désastreuse et une image diplomatique en décrépitude. Vous avez un président qui ne cesse d’antagoniser des partis qu’il juge “antirépublicains”, alors même que ceux-ci recueillent largement plus de voix que son propre camp. Des citoyens qui, eux aussi, refusent de faire des compromis et de prendre acte de la réalité d’aujourd’hui. J’aimerais être positif, mais je ne vois pas d’embellie possible avant que de nouvelles élections législatives soient organisées. Il faut parfois dézoomer. L’année dernière, sans doute l’une des années les plus turbulentes du quinquennat, tout le monde anticipait des “ruptures” et du “changement”. Et rien ou presque n’a changé. L’année qui arrive, nous franchirons sans doute un nouveau cap, avec plus de haine, d’inquiétudes, de difficultés économiques et de perte de respect pour la classe politique de la part des Français. A voir si quelque chose change…



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Author : Alix L’Hospital

Publish date : 2024-12-12 04:30:00

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