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L’Express

“Un défilé de cinglés…” : la nouvelle administration Trump vue par David Frum, l’ex-plume de Bush

Donald Trump et Tulsi Gabbard le 29 août 2024




Dans un entretien qu’il nous avait accordé en juillet dernier et plébiscité par nos lecteurs, David Frum, ancienne plume du président George W. Bush, et fervent anti-Trump alertait sur le danger d’un éventuel retour du milliardaire à la Maison-Blanche : “En cas de second mandat, il sera toujours aussi paresseux, mais il saura ce qu’il veut faire : se venger. Et il sera entouré de personnes qui voudront l’aider”, prévenait-il. Quatre mois plus tard, Donald Trump s’apprête à nouveau à prendre les manettes de la première puissance mondiale. David Frum, lui, a rendu sa carte du Parti républicain et contemple avec consternation et inquiétude les premières nominations au sein de la future administration Trump. “C’est un scénario très sombre qui s’annonce pour la suite”, prédit l’auteur de Trumpocalypse (Harper, 2020).La pire des nominations ? Celle de Tulsi Gabbard à la tête du Renseignement national. Une personnalité non seulement “médiocre” mais dont la loyauté envers son pays peut être mise en question au regard de ses agissements passés. Le type de profil qui “pourrait divulguer des documents secrets à des puissances étrangères”. Explications.L’Express : Comment avez-vous réagi à l’annonce des premières nominations de la future administration Trump ?David Frum : Je dois admettre que dans le domaine de la politique internationale, ses toutes premières nominations ont été quelque peu rassurantes : Marco Rubio (futur secrétaire d’Etat) et Michael Waltz (futur conseiller à la sécurité nationale) s’inscrivent en effet dans le courant traditionnel de la politique étrangère américaine. Le problème, c’est que le reste des nominations laisse présager un scénario très sombre pour la suite. Les personnalités nommées ont toutes été choisies en raison de leur hostilité partagée envers l’Ukraine et envers les alliés de l’Otan. Mais la nomination la plus inquiétante de toutes reste celle de Tulsi Gabbard, une ex-élue démocrate, à la tête du Renseignement national.Pourquoi ?Permettez-moi d’abord de résumer son rôle : les États-Unis ont de nombreuses agences de renseignement. La CIA est la plus célèbre. Le Département de la Défense a sa propre agence de renseignement. Le Département d’État aussi et chacune a des missions spécialisées. Historiquement, la CIA était censée être un organe de coordination. Mais à mesure qu’elle s’est développée, la CIA a cessé de remplir cette fonction. C’est pourquoi, après le 11 Septembre, la Direction nationale du renseignement a été créée pour superviser toutes les agences et coordonner leur travail. Tulsi Gabbard, si elle est confirmée à ce poste par les sénateurs, sera la seule personne à avoir accès à tous les secrets les plus sensibles des États-Unis. Avoir choisi quelqu’un ayant un parcours aussi douteux et par ailleurs d’une médiocrité rare, est vraiment préoccupant. Même si sa nomination est retoquée, le simple fait que le président envisage une telle possibilité est le signal le plus alarmant de tous.On connait mal Tulsi Gabbard de ce côté-ci de l’Atlantique. En quoi est-elle dangereuse pour ce poste ?Pour bien comprendre à quel point elle est peu fiable, il faut regarder son parcours. Elle a grandi à Hawaï. Ses parents faisaient partie d’une obscure secte religieuse. Elle a rejoint l’armée américaine après le 11 Septembre et a servi en Irak au sein d’une unité médicale. Elle avait au départ des opinions peu conventionnelles et est revenue d’Irak avec des prises de position plus classiques. Elle a été élue au Congrès en 2013 puis a occupé le poste de vice-présidente du Comité national démocrate. Elle est devenue une fervente partisane de Bernie Sanders pendant les primaires de 2016. Et à partir de là – en réalité, même avant cela – pour une raison mystérieuse, elle est devenue la plus grande supportrice du régime de Bachar el-Assad au Congrès. Elle a diffusé de la désinformation, trouvé des excuses aux crimes commis par le régime de Damas, voire les a niés. Elle ne s’est pas contentée de dire que les États-Unis ne devaient pas s’impliquer, ce qui à l’époque n’avait rien d’une position exceptionnelle, mais elle a activement défendu les crimes du dictateur syrien. Pareil pour le régime de Poutine.Cela ne relève pas d’un simple “réalisme” en politique étrangère. C’était un plaidoyer actif. Quand les Russes ont envahi l’Ukraine en 2022 (NDLR : cette année-là, elle décide de quitter le Parti démocrate), elle n’a pas seulement adopté une position isolationniste, mais a également repris tout le discours russe : les accusations de propagation d’armes biologiques en Ukraine et d’autres désinformations du Kremlin. Il ne s’agit donc pas seulement d’un manque de compétence. C’est une personne dont les loyautés posent question.Au vu de cela, comment expliquer son ralliement à Bernie Sanders, figure de la gauche radicale ?Cela semblait moins lié à Sanders qu’à son rejet de l’approche en politique étrangère d’Hillary Clinton. Une démocrate, qui passe bien à la télévision – elle est plutôt charismatique, dotée d’un physique avantageux, ce qui lui a permis d’avoir un certain attrait auprès des téléspectateurs masculins – et qui dit tout le temps des choses horribles sur Hillary Clinton… Cela l’a aidée à développer alors un véritable culte auprès de certains militants. Puis elle s’est présentée à l’investiture démocrate en 2020, mais là encore, ce n’était pas un plan réaliste pour elle-même. Son véritable objectif était de critiquer tous les autres démocrates et de maximiser son capital télévisuel. Avec cette base de fans très ardente, composée d’hommes qui la regardaient à la télévision, qui appréciaient ce qu’elle disait et comment elle le disait, elle a acquis une popularité particulière – et Trump était l’un de ces hommes.Est-ce la décision la plus inconsidérée prise par Donald Trump ?Oui. Car même si Trump a proposé quelqu’un de complètement sot pour la Défense (Pete Hegseth, journaliste sur Fox News et ancien soldat) et un anti-vaccins pour la Santé (Robert F. Kennedy Jr), ces deux ministères sont des bureaucraties gigantesques. Donc, quand bien même ces deux individus particulièrement fantasques peuvent causer des dégâts, ces ministères ont des structures vastes et bien établies. Il n’est pas certain donc que Hegseth et RFK Jr soient en mesure d’imposer leur volonté à la bureaucratie. En revanche, la Direction nationale du renseignement dispose d’une petite bureaucratie, et une personne malveillante nommée à sa tête peut faire des ravages.Quel(s) genre(s) de dégâts pourrait-elle causer à la tête du Renseignement ?Elle pourrait par exemple divulguer des documents secrets à des puissances étrangères. Rappelez-vous l’une des anecdotes les plus dramatiques des premières années Trump à la Maison-Blanche. En 2017, il avait invité l’ambassadeur russe et le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, dans le Bureau Ovale, juste pour frimer. Aucun média américain n’était autorisé mais un journaliste russe a pris des photos. Pour leur montrer la qualité des renseignements dont il disposait, Trump leur a présenté un document qu’il avait reçu et qui provenait des Israéliens, montrant que ces derniers avaient réussi à infiltrer profondément Daech, qui à l’époque était encore une menace sérieuse. Nous n’avons pas tous les détails de l’histoire, mais il a été rapporté que les membres des services de renseignement ont été tellement horrifiés qu’ils ont averti les journaux que le président avait divulgué aux Russes des informations de la plus haute confidentialité. C’est le genre de chose qui pourrait arriver avec Tulsi Gabbard : montrer aux Russes ou aux Syriens des documents qu’ils n’auraient jamais dû voir.Donald Trump est-il conscient du fait que cette nomination pourrait mal tourner ?Il me semble évident qu’il s’en fiche. Sa définition du bien et du mal est très différente de celle que nous attendrions du chef de la première puissance mondiale. Aucun autre président américain n’aurait pris le risque de dévoiler aux Russes que les Israéliens avaient réussi à infiltrer Daech…Le très controversé Matt Gaetz a renoncé à devenir ministre de la Justice. Ce retrait est-il un premier coup dur pour Donald Trump ?Cette nomination d’un partisan vicieux accusé d’avoir eu des relations sexuelles avec une mineure et de consommation illégale de drogue s’est effondrée sous le poids de son absurdité. Pour le remplacer, Trump a choisi Pam Bondi, une autre fidèle au profil plus classique et ancienne procureure générale de Floride. Il a été révélé qu’en 2013, alors qu’elle était en campagne pour sa réélection, son comité électoral avait reçu un don de 25 000 dollars de la part de Trump, au moment même où elle devait décider d’engager ou non une action en justice contre l'”université Trump” accusée de fraude. Bondi a finalement décidé de ne pas poursuivre l’affaire… Tout ça pour vous dire que nous allons vivre quatre longues années avec un gouvernement composé de fanatiques, d’escrocs et de médiocres.Pensez-vous que les républicains du Sénat bloqueront certaines des nominations de Trump ?Je pense qu’ils en bloqueront au moins une. Car il y en a toujours un qui finit par être recalé. Après le retrait de Matt Gaetz, cela pourrait être Pete Hegseth, lui aussi visé par un scandale sexuel. On pourrait arguer du fait que Trump n’avait pas connaissance des faits et donc du point de vue de certains républicains au Sénat, qui ne veulent pas défier Trump, cette nomination est plus facile à rejeter car cela ne le mettrait pas en difficulté et surtout, cela n’équivaudrait pas à remettre en cause leur loyauté envers lui. J’ajouterais que Hegseth ne semble pas être très important pour Trump, qui l’a surtout remarqué parce qu’il passait beaucoup à la télévision. Et il n’a aucun soutien. D’ailleurs, absolument personne – y compris probablement Hegseth lui-même – ne pense que cette nomination a le moindre sens.Que faut-il attendre de la nomination de RFK Jr à la Santé ?L’autorité discrétionnaire du ministre de la Santé n’est pas aussi grande qu’on pourrait le penser, car ce département est principalement une structure organisationnelle regroupant des programmes importants comme Medicare (une assurance maladie réservée aux personnes âgées et aux invalides) Medicaid (un programme national couvrant les frais médicaux des personnes aux revenus et ressources limités). Il n’est pas certain qu’il puisse donner des ordres directs aux agences de santé, car elles sont encadrées par des lois très strictes et spécifiques. Le préjudice le plus important qu’il pourrait causer serait de ralentir le développement de médicaments puisqu’il a déclaré qu’il voulait un moratoire sur cette question. Il en serait donc fini des tests et des nouveaux médicaments. Or, les nouveaux vaccins développés pour le Covid ont ouvert des perspectives prometteuses pour traiter de nombreuses autres maladies. Mais si ce progrès est freiné, cela peut potentiellement signifier qu’un traitement médical révolutionnaire contre une nouvelle maladie ne sauvera pas certaines personnes à temps simplement parce qu’il n’aura pas été rendu disponible assez tôt.RFK Jr pourrait également utiliser l’autorité et le prestige que lui confère son poste pour décourager la vaccination des enfants. La défiance vis-à-vis des vaccins augmente à cause de fausses informations diffusées sur Internet. Et cette fois, sur les réseaux sociaux, ce ne sera plus un simple marginal qui affirmera qu’il ne faut pas vacciner votre enfant contre la rougeole, mais le secrétaire à la Santé des États-Unis lui-même. Et certaines personnes l’écouteront. @lexpress 🇺🇸 La nomination de Robert F. Kennedy Jr. au ministère de la Santé américain suscite de vives inquiétudes. On vous explique. #etatsunis #sante #kennedy #trump #apprendresurtiktok #tiktokacademie #Sinformersurtiktok #newsattiktok ♬ original sound – L’Express Elon Musk nommé ministre de “l’Efficacité gouvernementale”, va-t-il vraiment démanteler la bureaucratie américaine comme il a promis de le faire ?Non. C’est juste une façon de se faire bien voir auprès des dirigeants chinois. En réalité, je ne pense pas que ce ministère soit réellement pertinent. Presque toutes les dépenses gouvernementales sont définies par la loi. Vous ne pouvez pas vous contenter d’émettre un décret. Par ailleurs, les principales critiques vis-à-vis de l’administration concernent, par exemple, le fait qu’il est très difficile de contacter l’Internal Revenue Service (NDLR : le service des impôts) parce qu’il n’y a pas assez de personnel. Si l’on dit : “Nous allons améliorer l’efficacité, mais sans changer aucune des règles qui régissent les impôts, et nous allons simplement réduire le personnel”, cela signifie que la majorité des tâches effectuées par les employés de l’IRS – répondre aux questions du public, traiter les remboursements, etc. – prendront plus de temps. Tout cela sera ralenti.“Si Donald Trump gagne, ce sera la fin du leadership américain et de la démocratie dans le monde”, mettiez-vous en garde cet été. Après la victoire du candidat républicain, êtes-vous toujours du même avis ?Oui. Lors de son premier mandat, Trump a nommé des personnes plus ou moins respectables à des postes importants. Comme par exemple la désignation de l’ancien PDG d’Exxon Rex Tillerson comme secrétaire d’État, un leader d’entreprise très admiré, qui s’est fait tout seul. Ou encore James Mattis qui, bien que nous n’aimions pas généralement voir d’anciens généraux devenir secrétaire à la Défense, était réfléchi et respecté dans l’armée. Il s’agissait de nominations solides. Cette fois-ci, nous avons un défilé de cinglés. C’est un premier point. Le second, concerne les dossiers internationaux. Trump fait face à deux grandes crises : une au Moyen-Orient et une en Ukraine, auxquelles s’ajoute une menace croissante à Taïwan. Il montre clairement qu’il est hostile envers l’Ukraine et indifférent à Taïwan, et que sa vision pour le Moyen-Orient consiste à laisser le gouvernement de Netanyahou faire ce qu’il veut. Mais le problème est que, visiblement, les dirigeants israéliens eux-mêmes ne savent pas vraiment ce qu’ils veulent faire. Mais surtout, nous voyons Trump aller plus vite, s’entourer de personnes toujours pires, pour ne pas dire des dingues, et montrer un mépris total pour l’éthique gouvernementale. Tout cela est donc effrayant.De nombreux économistes pensent que si Donald Trump met en œuvre son programme économique, l’inflation augmentera. L’électeur moyen qui a voté républicain risque-t-il de tomber de haut ?Le plan d’action de Trump en matière de commerce est particulièrement préoccupant. Lorsqu’on impose des tarifs douaniers, les choses deviennent réellement plus coûteuses. Donc, si Trump applique ce qu’il a dit qu’il ferait pendant sa campagne, les vêtements, les couverts, les assiettes, les tasses, les chaussures, tous les produits que consomment les gens au quotidien deviendront plus onéreux. Il mettra également à rude épreuve l’ensemble de l’économie mondiale, car l’une des choses que Trump ne semble jamais prendre en compte, c’est que ses partenaires commerciaux pourraient prendre des mesures de rétorsion. Il affirme souvent que ce sont les pays étrangers qui payent le coût des tarifs douaniers et non le consommateur américain. Cela n’est pas vrai.Mais supposons que ce soit vrai. Supposons que l’étranger paye le coût des tarifs américains. Qui paierait alors le coût des mesures de rétorsions que ces pays étrangers prendraient à l’encontre des Etats-Unis ? Lors de son premier mandat, la plupart de nos partenaires commerciaux ont pensé : “Les Américains ont élu cet homme étrange, qui s’écarte de la tradition d’ouverture commerciale de l’après-guerre. Mais cela ne durera que quatre ans. Ne faisons rien de précipité”. Cette fois-ci, je pense que s’il met en œuvre un protectionnisme commercial à grande échelle, il y aura des représailles. Et cela sera mauvais pour l’économie mondiale dans son ensemble.Vous avez rendu votre carte du parti républicain après la victoire de Trump le 6 novembre. Nombre de républicains anti-Trump avaient appelé à voter pour Kamala Harris. Que va-t-il advenir de ce parti ?Je suis resté membre du Parti républicain pendant le premier mandat de Trump, car je pensais que viendrait rapidement le moment où le parti aurait besoin de se reconstruire. Je n’avais pas abandonné l’idée – pas que j’aurais eu beaucoup d’influence, mais j’avais encore l’espoir de voir cela arriver et de pouvoir être à nouveau fier de ce parti. Je suis entré en politique quand j’étais jeune, car je croyais en la défense du monde occidental, ce qui signifie la sécurité collective, le libre-échange international, l’État de droit… Trump a réussi à remodeler le Parti républicain en quelque chose de totalement opposé. C’est maintenant un parti protectionniste, qui a tourné le dos au libre-échange. C’est un parti qui adopte une attitude prédatrice envers le reste du monde, et non une attitude protectrice. C’est un parti qui regarde l’histoire de la guerre froide et dit que Reagan avait tort. Qui regarde la Seconde Guerre mondiale et dit que Roosevelt avait tort. Ce n’est pas mon parti.



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Author : Laurent Berbon

Publish date : 2024-11-24 16:00:00

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