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L’Express

“No other land” : ayez le courage de regarder ce film, par Christophe Donner

Les réalisateurs israélien Yuval Abraham et palestinien Basel Adra du film "No other land" au festival du film de Berlin.




No other land est entièrement tourné à Masafer Yatta, une sorte de canton situé dans le district de Hébron, en Cisjordanie, qui compte une vingtaine de villages, répartis sur environ 3 000 kilomètres carrés où vivent 2 500 Palestiniens, agriculteurs ou éleveurs de moutons, pour la plupart. Les autres sont artisans, commerçants, instituteurs, médecins. Il y a des femmes sans autre profession que de s’occuper des enfants et de leurs hommes, comme dans le temps. Il y a aussi un pompiste, c’est le père de Basel Adra qui, avec Hamdan Ballal, filme depuis dix ans tout ce qui se passe à Masafer Yatta.Ils sont devenus les journalistes de leur bled. Je ne connais pas exactement l’âge de Basel et de Hamdan, mais ils n’ont pas beaucoup plus de 25 ans. Ils ont longtemps envoyé leurs articles et leurs images sur le Net, jusqu’à ce qu’un beau jour, en 2019, deux Israéliens, Yuval Abraham et Rachel Szor, eux aussi journalistes, découvrent ces articles et ces images et décident de se rendre à Masafer Yatta pour rencontrer Basel et Hamdan et voir par eux-mêmes ce qui se passe. C’est courageux, même si pour les Israéliens, c’est plus facile, car ils ont une voiture avec une plaque d’immatriculation jaune qui leur permet de circuler librement partout, tandis que les Palestiniens ont des plaques vertes, ce qui leur interdit de sortir de la Cisjordanie. Vert, jaune… ce choix des couleurs, je ne le trouve pas de très bon goût de la part des autorités ; à Neuengamme [NDLR : camp de concentration en Allemagne], mon grand-père portait un triangle rouge inversé avec la lettre F en noir.Rachel et Yuval débarquent donc en voiture à Masafer Yatta. La rencontre n’est pas facile avec Basel et Hamdan. C’est justement dans sa difficulté que résident leurs courages. J’écris courages au pluriel, car aucune de ces formes de courage ne ressemble aux autres. Elles forment la pâte de ce film sensationnel et déchirant dont le tournage s’étale sur près de dix ans. On ne voit jamais Rachel ni Hamdan qui restent derrière la caméra, à observer l’amitié se construire entre Basel, le Palestinien, et Yuval, l’Israélien, autour de ce projet commun : défendre par les mots et les images ces villages menacés, faits d’entrelacs de constructions troglodytes de trois ou quatre mille ans avant Jésus Christ, et de maisons en parpaings, tôles ondulées, Placoplatre, pas jojos, mais avec l’eau courante, l’électricité, le tout-à-l’égout, et des routes qui les relient, des écoles où vont les enfants, des magasins, une pompe à essence. Ce sont surtout les écoles qui font mal quand les bulldozers viennent les démolir comme des châteaux de cartes. Même moi qui ai tellement détesté l’école, ça me fait mal.Ayez le courage de regarder ce filmLa plupart des habitants de Masafer Yatta descendent de familles de Bédouins palestiniens installés là au début du XIXe siècle. Alors bien sûr, les mères hurlent et pleurent, s’accrochent aux soldats israéliens pour les empêcher de faire ça : “C’est chez nous, qu’est-ce qu’on va devenir, où on va aller ?”. Les soldats, calmes, si calmes dans leurs uniformes en Kevlar, leurs casques, leurs fusils à lunette en bandoulière, guident les bulldozers. Un geste de l’officier vers cette maison, et la maison est aussitôt tordue, froissée comme une page d’histoire.Au mépris de toutes les résolutions de l’ONU et de tous les organismes internationaux qui tentent depuis soixante-seize ans d’établir des règles et d’instaurer la paix dans la région, le gouvernement israélien a décrété que Masafer Yatta devait servir de camp d’entraînement pour l’armée. Prétexte pas même dissimulé à l’implantation de nouvelles colonies. D’ailleurs, ils sont déjà là, les colons, aussitôt après que les bulldozers ont tout démoli, ils viennent tâter le terrain qui va leur appartenir et, à l’occasion, ça aussi c’est filmé par nos quatre courageux, les colons tirent sur un Palestinien qui tentait à mains nues de les repousser, il restera paralysé à vie. Puis ils tirent sur un autre Palestinien, tout aussi désarmé, qu’ils tuent. Ayez, à votre tour, le courage de regarder ce film. No other act.Christophe Donner, écrivain



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Author : Christophe Donner

Publish date : 2024-11-13 05:45:00

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