La banque la plus redoutée au monde peut aussi se planter lamentablement. En février 2023, Goldman Sachs communiquait à ses gros clients une liste de dix entreprises menacées par l’intelligence artificielle (IA). Parmi elles, l’éditeur britannique RELX. La “Firme” s’inquiétait que ses contenus soient pillés par ChatGPT et consorts, et son modèle économique mis à terre. Erreur de diagnostic ! Quelques semaines plus tard, le groupe basé à Londres présentait aux analystes financiers son robot conversationnel Lexis + AI destiné aux juristes, et démontrait par A + B que l’IA, loin d’être un handicap, l’aidait à renforcer ses offres. Le cours de l’action RELX a bondi de 30 % depuis l’avertissement de Goldman Sachs… qui, entre-temps, a revu son jugement.L’éditeur anglais, dont l’offre va des solutions d’analyse du risque aux revues scientifiques comme The Lancet ou Cell, en passant par des logiciels pour juristes, pèse l’équivalent de 80 milliards d’euros à la Bourse de Londres. Davantage que BNP Paribas ou Axa ! La performance de son action a dépassé celle du Footsie 100, l’indice des 100 plus grandes entreprises britanniques, sur 12 des 13 dernières années. Et l’IA n’a fait qu’accélérer son ascension. “Les produits de RELX utilisant l’IA sont vendus 15 % à 20 % plus cher que ses autres solutions, décrypte l’analyste financier Konrad Zomer du courtier Oddo BHF, qui suit le titre depuis près de vingt ans. Malgré ce surcoût, les clients migrent vers ces applications qui leur font économiser beaucoup d’heures de travail”. Outre la solution Lexis + AI, qui aide les avocats à analyser la documentation juridique, RELX a lancé Scopus AI, un moteur de recherche pour chercheurs, et Clinical Key AI, un chatbot pour le monde médical.Gain de temps pour les juristesLa première activité du groupe (un tiers des revenus) et la plus dynamique, la gestion des risques, fournit des informations pour aider une entreprise à déterminer si elle devrait, ou non, accorder un crédit ou une assurance à un particulier. L’IA apporte une aide inestimable en collectant et analysant de grandes quantités de données. Dans le cas d’une assurance logement, par exemple, l’outil de RELX “digère” 200 paramètres dont les caractéristiques de la maison, l’historique des sinistres et les images satellites – celles-ci permettant d’observer l’état de la toiture ou le risque posé par les arbres alentour.Le robot conversationnel développé par RELX pour les professionnels du droit offre également des gains de temps considérables. Sa base de données juridiques s’enrichit de 2,2 millions de pages par jour. L’algorithme décortique chaque jugement, communiqué ou jurisprudence. L’entreprise assure que son modèle, contrairement à ceux des LLM grand public comme ChatGPT, n’est pas sujet aux “hallucinations conceptuelles ou factuelles”. “Prenez un cabinet d’avocats spécialisé dans les divorces, basé en Floride. Si une séparation à Philadelphie donne lieu à une jurisprudence ou à une décision inhabituelle, l’outil de RELX lui enverra une notification”, explique Konrad Zomer. De quoi rendre la veille juridique beaucoup plus efficace.Repérer les futurs prix NobelMais c’est dans son activité de publications scientifiques que RELX pourrait trouver les utilisations les plus fascinantes de l’IA. Avec près de 3 000 revues dont Cell et The Lancet, l’entreprise voit de nombreux intérêts dans l’apprentissage automatique. A commencer par l’édition, la traduction, le résumé des articles, et la lutte contre le plagiat. A plus long terme, la révision par les pairs, qui contribue au prestige des revues mais demande aux chercheurs beaucoup de temps gratuit pour peu de reconnaissance, pourrait être assistée, voire remplacée par la machine. “Un tel scénario soulève évidemment beaucoup de réticences dans le monde scientifique, mais il est tout à fait possible”, souligne un expert du secteur.Les algorithmes pourraient permettre aux revues de traquer les thèses de doctorat et de repérer les futurs prix Nobel. “La renommée d’une revue dépend aussi de ses signatures”, poursuit le spécialiste. RELX pourrait également vendre de son intelligence aux Etats, soucieux de flécher leurs aides aux projets de recherche les plus prometteurs, et aux entreprises et investisseurs, pour orienter leur R & D dans les segments les plus rentables. Bref, de belles perspectives qui justifient une valorisation boursière stratosphérique, plus de 7 années de chiffre d’affaires. Il faut dire que, dans ces études et articles de savants, se cachent les innovations de demain… C’est tout le paradoxe de l’édition académique : elle ne pèse que quelques milliards d’euros par an, mais sa valeur sous-jacente est énorme. Goldman Sachs, cette fois, l’a bien compris !
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Publish date : 2024-11-03 09:00:00
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