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Médicaments anti-obésité : entre progrès médical et défi économique, par le Pr Alain Fischer

Le Pr Alain Fischer préside le Conseil d'orientation pour la stratégie vaccinale.




Qui doit prendre en charge les nouveaux traitements de l’obésité ? Cette question peut paraître étrange, voire choquante. Pourtant elle se pose lorsqu’un progrès médical se heurte à des contraintes économiques. De quoi s’agit-il ? L’obésité, définie par un indice masse corporelle supérieur à 30 kg/m² [NDLR : par exemple 77,5 kilos pour une taille de 1 mètre 60], concerne près d’un cinquième des Français adultes, soit plus de 8 millions de personnes. On parle d’obésité sévère ou massive lorsque cet indice atteint 35 ou 40 kg/m². Au-delà des inconforts physique et psychique, l’obésité est un facteur de risque pour les maladies cardiovasculaires, les cancers et le diabète, et l’obésité sévère réduit l’espérance de vie d’environ dix ans.Jusqu’ici, il n’existait pas de traitement acceptable et la pratique d’un régime hypocalorique s’avère très difficile. Les personnes concernées, souvent issues de catégories sociales défavorisées, se trouvaient donc dans une situation délicate. Il s’agit d’une question importante de santé publique, d’autant que la prévalence a doublé en vingt-cinq ans. La prévention par l’éducation, une meilleure alimentation des enfants, l’interdiction de la promotion d’aliments et boissons riches en sucres sont indispensables. Mais comment aider les personnes déjà atteintes ?Une nouvelle classe de médicaments, le sémaglutide et ses dérivés, permet une perte de 10 % à 25 % du poids selon les études, avec des effets indésirables limités. Une injection sous-cutanée hebdomadaire est pour l’instant nécessaire. La molécule agit sur le cerveau en favorisant la satiété, et semble aussi exercer un effet protecteur contre les maladies cardiovasculaires et rénales, au moins chez les sujets diabétiques. Il s’agit d’une petite révolution et plusieurs industriels s’emploient à en améliorer encore les performances. Bien sûr, la prudence est de mise sur de potentiels effets indésirables à long terme.Un risque d’injustice socialeL’engouement est réel. Novo Nordisk, le premier industriel à avoir commercialisé un tel produit, a vu son chiffre d’affaires doubler entre 2019 et 2023 et sa marge bénéficiaire atteindre 36 %, sachant que ce médicament représente 90 % de son activité. Cette entreprise enregistre des performances boursières exceptionnelles. Le prix du traitement est de l’ordre de 3 000 euros par an et par patient dans les pays européens où il est commercialisé (quatre fois plus aux Etats-Unis). Le rembourser pour tous les patients français atteints d’obésité sévère coûterait plusieurs milliards, augmentant d’au moins 20 % les dépenses de médicaments.Alors que faire ? Une étude récente parue dans The Lancet montre que plusieurs pays, dont l’Allemagne ou l’Italie, refusent toute prise en charge, du fait de son prix et sans doute aussi d’une représentation de l’obésité perçue comme un risque consenti plutôt qu’une maladie, conception éthiquement contestable. Une minorité de pays dont la France s’apprête à rembourser le médicament sous des conditions strictes : obésité très sévère, existence de comorbidité, âge inférieur à 65 ans et respect d’un régime. Cela paraît raisonnable : ne pas rembourser ce médicament conduirait à une injustice sociale, comme aux Etats-Unis où il est surtout utilisé par les plus aisés.A terme, si l’intérêt et la tolérance de cette classe thérapeutique se confirment, que peut-on envisager ? Les prix baisseront sans doute, mais pas au point de permettre une utilisation large. L’achat d’un volume défini de doses ou la fixation d’un budget maximal peuvent avoir un effet bénéfique mais insuffisant. Cette situation illustre le problème posé par nombre de thérapies innovantes, mais dans un contexte de marché très large. La confrontation entre avancées de la médecine et réalité économique devient ici aiguë.Les industriels plaideront la nécessité de conserver une marge suffisante pour continuer à innover. On peut néanmoins s’interroger, car le coût de production du médicament ne représente que 1 à 5 % du prix de vente. Même en ajoutant les frais de recherche, de développement et de marketing, le bénéfice reste très confortable. Cette situation appelle à une refonte du système mondial de régulation de la fixation des prix des produits de santé, si l’on veut conserver une forme d’éthique dans leur accès. Un vœu pieux ?Alain Fischer est président de l’Académie des sciences et cofondateur de l’Institut des maladies génétiques.



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Author : Alain Fischer

Publish date : 2024-09-24 09:30:00

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