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L’Express

Allemagne : les cinq plaies d’un modèle à bout de souffle

Le chancelier allemand Olaf Scholz à une cérémonie de dépôt de gerbes pour les victimes d'une attaque meurtrière au couteau à Solingen, dans l'ouest de l'Allemagne, le 1er septembre 2024




Olaf Scholz a évité la crise majeure. Ce week-end, le parti du chancelier, les sociaux-démocrates du SPD, est arrivé en tête dans l’élection régionale du Brandebourg, talonné par le parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD). La classe politique allemande va maintenant se préparer à la prochaine échéance, cruciale : les élections fédérales, qui auront lieu dans un an et s’annoncent déjà de tous les dangers. D’autant que Berlin, enlisé dans une crise de gouvernance majeure, doit gérer des dossiers urgents. Spécialiste de l’Allemagne, Eric-André Martin les détaille pour L’Express.1 – Une coalition paralysée par ses désaccordsOn l’a bien vu cet été lors du débat sur le budget. Rien que pour trouver un compromis sur les recettes et les dépenses, il a fallu des mois de discussion, et l’on a même frôlé la rupture ! On peut donc penser que l’actuelle coalition se contente d’expédier les affaires courantes, car les partis qui la composent – Verts, libéraux (FDP) et socio-démocrates (SPD) – s’entendent de moins en moins. Et plus le scrutin approche, plus ils auront intérêt politiquement à montrer leurs désaccords.Si l’on entre dans les détails, on a, d’abord, un parti libéral (FDP) qui s’enferre dans une orthodoxie financière de plus en plus marquée et dogmatique, et qui empêche toute avancée sur de nombreux sujets, notamment sur le programme social du SPD. Celui-ci a un problème majeur d’autorité, car le chancelier Olaf Scholz, issu de ses rangs, est devenu très faible. La question va se poser de savoir s’il faut le reconduire pour le prochain scrutin. Ensuite, il y a les Verts, qui sont fortement discrédités à cause du coût de la transition énergétique. En effet, la classe politique allemande les rend largement responsables des difficultés de l’économie – ce qui est en partie injuste.Enfin, il y a, dans l’opposition, les conservateurs (CDU), qui ont un boulevard devant eux, portés par leur leader Friedrich Merz, qui vient d’être intronisé comme candidat officiel. Cela dit, ce parti conservateur a un problème de stratégie. Que veut-il ? Quels sont ses axes ? Sur la question de l’immigration, le CDU a beau hurler avec les loups, il ne doit pas oublier que la situation actuelle trouve son origine en 2015, avec la politique menée par Angela Merkel lors de la crise des réfugiés. Sur les questions financières, il laisse les libéraux en première ligne, mais les conservateurs sont – eux aussi – des gardiens de l’orthodoxie. Ce sont eux qui, il y a un an, avaient saisi la Cour constitutionnelle fédérale sur le projet de budget. Et ils l’avaient fait retoquer ! Et sur l’énergie, que souhaitent-ils faire ? Veulent-ils freiner la transition ? Relancer de nouvelles sources d’énergie, comme le nucléaire ? Aujourd’hui, ils se cachent derrière le mécontentement général, mais pour autant ont-ils vraiment des projets ? Ce n’est pas évident.2 – L’AfD, plus que jamais en embuscadeAprès la Thuringe et la Saxe, l’AfD réussit une passe de trois en arrivant en deuxième position dans le Brandebourg. En dépit des scandales dont il a fait l’objet, à l’image du débat sur la “remigration” en février dernier, le parti d’extrême droite a réalisé des scores historiques, autour de 30 % des voix. L’une des raisons de ce succès tient dans la politique d’ancrage territorial que ce parti mène depuis plusieurs années. En 2023, l’AfD avait ainsi réussi à s’implanter dans des conseils municipaux lors des élections locales en Thuringe, et avait failli s’emparer d’une ville importante. Rappelons qu’en Allemagne, les électeurs votent deux fois : pour un candidat dans une circonscription et, aussi, pour un parti. Ce n’est donc pas uniquement parce qu’ils sont étiquetés AfD que ces élus locaux se font élire, mais aussi pour leur personnalité propre. De plus en plus, ils deviennent des concurrents sérieux dans des élections locales. En cela, les trois scrutins qui ont eu lieu ces derniers mois doivent être perçus comme une alerte sérieuse pour l’an prochain.3 – L’immigration, un débat majeur en AllemagneSujet majeur, l’immigration sera au cœur des débats lors des prochaines élections fédérales. Le débat sur l’expulsion de criminels étrangers s’est accru à la suite d’un certain nombre de faits divers tragiques impliquant des migrants. Après l’attaque au couteau à Solingen qui a fait trois morts, le 24 août dernier, la coalition au pouvoir a proposé en urgence un durcissement du droit d’asile et de nouvelles incitations pour encourager les demandeurs d’asile à quitter l’Allemagne. Un contrôle aux frontières a même été rétabli pour une durée de six mois à partir de septembre, au grand dam des voisins européens, comme la Pologne. C’est un tabou qui tombe et un signal politique extrêmement fort en Allemagne.Une autre question importante porte sur la possibilité de délocaliser des procédures de demandes d’asile dans un pays tiers, à l’image du projet britannique au Rwanda ou du “modèle italien” en Albanie. Gageons que les politiciens allemands seront très attentifs aux solutions qui vont être trouvées dans d’autres pays pour contourner le refus de certains Etats de récupérer leurs ressortissants ou pour aménager les dispositifs européens.Dans les prochains mois, on peut s’attendre à un alignement national conservateur sur cette question migratoire. Avec un bémol : compte tenu de sa démographie, l’Allemagne a un besoin important de main-d’œuvre qualifiée. Conscients des enjeux économiques, les responsables politiques soulignent l’urgence de maîtriser l’immigration irrégulière et de dissocier systématiquement la migration irrégulière de la migration de travail.4 – Le dossier ukrainien, explosif outre-RhinLa politique à l’égard de la Russie s’est imposée comme un thème de campagne lors des élections régionales. La population est en effet très sensible à cette question, surtout dans les Länder de l’est. Le fait de sanctionner la Russie et de la traiter en ennemi a un impact particulier en Allemagne, où une grande partie de la population, plutôt neutraliste, se dit : “Nous avons perdu le gaz russe, la vie est de plus en plus chère ; ce n’est pas à nous de payer la facture de ce conflit.” Cet état d’esprit est plus marqué à l’est qu’à l’ouest. Lors des trois récents scrutins, l’AfD et le BSW – le parti populiste créé par la leader d’extrême gauche Sahra Wagenknecht – ont tous deux fait campagne contre le soutien apporté par Berlin à Kiev. Sahra Wagenknecht a même déclaré que le BSW ne formerait pas de coalition avec un parti qui soutiendrait l’aide militaire à l’Ukraine ou le stationnement de missiles américains en Allemagne à partir de 2026, dont le principe a été acté par le gouvernement Scholz. En février 2023, elle avait lancé une pétition contre la guerre avec d’autres personnalités. Elle avait obtenu plus de 700 000 signatures.5 – Une économie malmenée par la concurrence chinoiseEvoquons d’abord la transition énergétique, et, surtout, sa mise en œuvre. Pour beaucoup d’Allemands, particulièrement à l’est, une économie plus verte signifie une perte de pouvoir d’achat et des contraintes supplémentaires. Durant la campagne électorale en Thuringe et en Saxe, l’AfD et le BSW ont demandé la reprise des approvisionnements de pétrole et de gaz russe “bon marché” et l’abandon des sanctions contre la Russie. Ce narratif prend une résonance particulière dans la période de stagnation économique que traverse l’Allemagne : l’économie n’a quasiment pas progressé depuis 2019 et tout laisse penser que cette contraction devrait se poursuivre.Il y a ensuite d’autres éléments, plus structurels. Les industriels allemands ont bâti leur excellence sur des technologies et des produits qui sont aujourd’hui fortement concurrencés, comme les machines-outils, qui s’appuient désormais sur des nouvelles technologies et sur lesquels ils n’ont pas beaucoup investi.Ensuite, il faut évoquer la concurrence chinoise extrêmement forte sur l’automobile et les véhicules électriques. Celle-ci alimente une inquiétude diffuse sur la fragilité du modèle économique allemand. Les suppressions d’emplois annoncées chez l’équipementier ZF Friedrichshafen ou les restructurations en cours chez Volkswagen alimentent le mécontentement social. Dans ce contexte, le report de la mise en chantier de l’usine d’Intel à Magdebourg, annoncé il y a quelques jours, a eu un effet très négatif.Citons, enfin, le problème de la perte de compétitivité en raison du coût de l’énergie ; la concurrence de l’Inflation Reduction Act (IRA), aux Etats-Unis, qui incite les producteurs étrangers à investir et à se développer sur le marché américain à condition de produire sur place ; et, aussi, le problème des infrastructures allemandes, qui souffrent d’un sous-investissement chronique. La part de l’investissement public brut dans le PIB allemand était de 2,5 % entre 2018 et 2022, soit la plus faible parmi les pays à revenu élevé important, à l’exception de l’Espagne.Berlin doit admettre que la stricte discipline budgétaire n’est pas une fin en soi et qu’une attitude trop rigide bridera non seulement les investissements nécessaires pour préserver la compétitivité de l’économie mais fragilisera aussi le marché intérieur. Pourtant, il y a très peu de débats en Allemagne autour de ces grandes questions, y compris au sein de la CDU, pourtant compétente en matière économique. Il est pourtant urgent de les aborder.



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Author : Charles Haquet

Publish date : 2024-09-23 10:00:00

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